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Immigration «de masse»: tirer les leçons de Schwarzenbach

Opinion publiée dans Le Temps du 6 janvier 2013 par le Pr Etienne Piguet

Quarante-quatre ans séparent la votation sur l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse» et celle sur l’initiative Schwarzenbach. Les initiants ont des arguments proches. Le Conseil fédéral – opposé aux deux textes – a, de son côté, changé de discours et d’alliés. Non sans risques.

Le 16 mars 1970, le Conseil fédéral convoque la presse afin de faire une déclaration publique sur la fameuse initiative Schwarzenbach qui doit passer en votation populaire trois mois plus tard et demande le plafonnement du nombre d’étrangers à 10% de la population. Le 25 novembre 2013, il fait de même trois mois avant l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse» qui veut mettre fin à la libre circulation intégrale avec l’UE effective depuis 2007. Enumérons les parallèles entre les deux époques.

Dans les deux cas, les initiatives font suite à une décennie d’immigration record. Le solde migratoire annuel 1960-1969 (différence entre les arrivées et les départs) est de +36 000 personnes environ (+ 0,6% de la population totale par an), celui de 2004-2013 de +63 000 (+ 0,8%), ce qui dépasse largement l’immigration des périodes précédentes.

Dans les deux cas, les milieux économiques sont en grande majorité fortement opposés aux mesures de limitation car l’immigration facilite grandement le recrutement de main-d’œuvre et favorise la croissance. Pour cette raison, les initiants – tout en critiquant une croissance économique inconsidérée – mettent principalement en avant des arguments non économiques. Ils disent craindre pour les valeurs traditionnelles de la société suisse, mais dénoncent aussi les conséquences de l’immigration sur l’aménagement du territoire, le logement et les infrastructures.

Dans les deux cas, une certaine xénophobie sous-tend les initiatives car celles-ci visent à privilégier les ressortissants suisses. Pour James Schwarzenbach, aucun citoyen ne doit être congédié aussi longtemps que des étrangers de la même catégorie professionnelle travaillent pour le même employeur. Pour l’UDC, «les contingents annuels pour les étrangers exerçant une activité lucrative doivent être fixés […] dans le respect du principe de la préférence nationale».

Dans les deux cas, la gauche est déchirée entre un idéal hostile au repli national et le souhait de protéger les travailleurs résidant en Suisse de la concurrence. En 1970, elle demandait ainsi avec force le strict plafonnement de l’immigration, sans pour autant suivre le nationalisme conservateur de Schwarzenbach. En 2014, elle ne réclame plus de plafonnement quantitatif mais souhaite des mesures d’accompagnement renforcées pour lutter contre les risques de sous-enchère salariale. Ainsi, le Parti socialiste n’a-t-il pas intégré le même comité opposé à l’initiative UDC que les milieux économiques.
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Etienne Piguet, Le Temps, le 06 janvier 2014