L’Escale | Kaveh Bakhtiari
Il y a trois ans, mon cousin était bloqué en Grèce avec d’autres migrants.
A l’époque, il n’avait pas encore décidé d’abandonner et de retourner en Iran.
A l’époque, il était encore vivant.
C’est par ces trois phrases que s’ouvre le film l’Escale, du réalisateur Kaveh Bakhtiari, sélectionné pour la Quinzaine des réalisateurs 2013 à Cannes. Un film intimiste, en immersion, dans le quotidien confiné de cinq hommes, une femme et un enfant débarqués isolément à Athènes sur leur route pour l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique, et bloqués dans leur élan en Grèce. Sept personnes filmées, caméra au poing, durant un an, dans le petit appartement d’Amir, en sous-sol, à l’abri des regards extérieurs. Sept personnes qui se confient à la caméra, à Kaveh Bakhtiari, à nous, et qui finissent par nous devenir proches. Des visages, des yeux, qui disent la peur d’être arrêtés et emprisonnés, le poids de l’incertitude et du temps perdu. Des personnes dont le passé est tu, et l’avenir incertain. L’Escale aurait pu se passer n’importe où. C’est une histoire de l’Europe des migrants. Elle se passe en Grèce.
C’était un concours de circonstances. J’étais en train d’écrire un film de fiction sur le sujet. On est toujours plus intéressant quand on parle d’un sujet que nous connaissons. Et l’émigration fait partie de mon histoire puisque je suis arrivé d’Iran à 9 ans avec mes parents et mes deux frères. Mon précédent film, La Valise, faisait la tournée des festivals, et passait par la Grèce. Au même moment, j’ai appris que mon cousin avait été arrêté et emprisonné pour 3 mois à Athènes pour séjour illégal. Je voulais aller l’aider. Et je me suis dit que je pourrais en profiter pour faire des repérages pour mon prochain film.
C’était la règle du lieu, la maison d’Amir, le compatriote qui les héberge: ne pas parler du passé. C’est comme cela que j’ai pu entrer chez eux, avec ma caméra. Je n’osais pas leur poser la question et très vite je comprends qu’ils sont des survivants. Ce qui les intéresse, c’est de savoir s’ils vont rester en vie et avoir un avenir. Nous-mêmes ne savons pas d’où ils viennent ni ce qu’ils vont devenir. Cela permet de ne pas les hiérarchiser, de ne pas les étiqueter, comme le ferait un Bureau de l’immigration, par exemple. C’est devenu le concept narratif du film.
C’est-à-dire?
Le passé de chacun, son devenir se situent en dehors de la frontière du film. Le film devient métaphoriquement une île déserte. On vit une expérience de clandestinité en tant que spectateur et nous n’avons pas besoin de clefs de lecture socio-politique pour les comprendre et s’attacher à eux.
Et vous, comment vous positionniez-vous, avec votre statut, votre passeport suisse ? Vous alliez aider votre cousin à sortir de prison, avez-vous tenté des démarches?
J’ai passé 95% de mon temps à essayer de les aider de diverses manières. Ils étaient arrêtés pour séjour illégal ou pour avoir tenté de traverser la frontière. Il suffisait juste que la police sache que quelqu’un les cherche pour qu’ils soient libérés! On parle de lutte contre l’immigration illégale, mais il s’agit d’une guerre contre les migrants, je crois.
Propos recueillis par Sophie Malka
> Sur la situation en Grèce, retrouvez notre chronique-monde « Grèce | Le traquenard européen », qui contient de la documentation et de nombreux liens
Ce témoignage fait partie d’un dossier de témoignages publiés dans le numéro de décembre de Vivre Ensemble (lire l’éditorial).
Voir aussi:
- la lettre ouverte « Le temps d’une escale à Athènes » de Cristina Del Biaggio à Kaveh Bakhtiari, publiée sur le site de LaCité, le 2 février 2014;
- L’article « Le film L’Escale : immersion au cœur de la vie des migrants à Athènes« , publié sur le site d’Amnesty, le 18 novembre 2013.