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Notre regard

Accueil des réfugiés syriens: On ne change pas les règles du jeu en cours de partie!

UNHCR / G. Beals
« C’est comme un cadeau qu’on offre à un enfant et qui lui est retiré. Il y a une fin pour tout. » Mario Gattiker, 27 novembre 2013, lors d’une formation continue de l’OSAR.

Au moment où nous mettions sous presse, le DFJP annonçait la suspension pure et simple de l’octroi facilité de visas aux parents de ressortissants syriens vivant en Suisse. Pour faire passer la pilule, les communicants ont appelé cela une « levée de la mesure provisoire ». Tant pis si elle n’a jamais été annoncée comme «provisoire»… Et d’expliquer candidement:

«Il est vraisemblable que la plupart des personnes se trouvant dans une situation de détresse immédiate et pouvant prétendre à l’obtention d’un tel visa ont entre-temps fait usage de cette possibilité.»

C’est aussi, se justifie le DFJP, que les allègements de visas «visaient à apporter une réponse rapide et non bureaucratique à l’aggravation de la situation en Syrie et au risque d’internationalisation du conflit observés à la fin de l’été» (autrement dit, au moment où les menaces d’interventions internationales pesaient sur la Syrie). Il est vrai qu’en ce début d’hiver, les progrès en Syrie sont remarquables… Le DFJP estime en tous cas que «la mesure s’est donc révélée efficace et l’objectif visé a été atteint» (sic!).

Sur quelle base? Au vu de la situation en Syrie et alentours (voir l’excellente « Opération Syrie » réalisée par la RTS), on comprend que les Syriens de Suisse cherchent à mettre leurs proches à l’abri. 1600 visas ont été délivrés et 5000 personnes ont pris rendez-vous auprès d’une représentation suisse. Mais visiblement, le DFJP a été surpris et dépassé par le nombre de demandes. Combien de Syriens vivent en Suisse avec un permis B, C ou la nationalité suisse et combien de personnes pouvaient-ils à vue de nez faire venir chacun? A défaut de capacités d’anticipation, le DFJP cherche à manier l’art de la communication…

De l’art de communiquer

La suspension de cette mesure a au moins eu le mérite de faire taire une autre polémique née quelques jours plus tôt. De fait, personne n’a été dupe quant à la «précision» apportée par l’ODM en mi-novembre à la directive du 4 septembre sur les visas humanitaires délivrés aux proches de Syriens établis en Suisse. Au terme «clarification», la presse a préféré «durcissement» pour évoquer la décision du Département de Simonetta Sommaruga d’exiger désormais des garanties financières aux personnes souhaitant faire venir leur famille depuis la Syrie ou les pays limitrophes et l’Égypte. Le 4 septembre, Madame Sommaruga avait bien insisté sur l’aspect humanitaire de cette facilitation de visa et sur le fait que des garanties financières ne seraient pas demandées. Une information largement diffusée en Suisse dans les médias.

Mais le 22 novembre, les organisations de défense des réfugiés ont appris par voie de presse que la règle du jeu avait changé. Selon une directive envoyée aux ambassades le 12 novembre, les Syriens qui souhaitent faire venir leur famille doivent désormais montrer un compte bien rempli. Certains se sont vu réclamer 30’000 francs, parfois par personne par les autorités cantonales, relève l’OSAR. Faudra-t-il qu’ils choisissent entre le frère, la mère ou la nièce, si encore ils ont ce montant en réserve? Ils doivent pouvoir les héberger chez eux ou chez des proches. Enfin, une disposition de la directive nouvelle mouture laisse totalement pantois:

«Si la représentation à l’étranger parvient à la conclusion que, malgré l’invitation d’un hôte en Suisse, la procédure de visa n’est introduite que dans le but de déposer une demande d’asile, les dispositions relatives au visa humanitaire s’applique.»

Au vu du nombre de visas humanitaires accordés en plus d’une année par l’ODM, on comprend qu’il ne s’agit plus vraiment d’une «facilitation»…

Que la Suisse soit souveraine en matière de visa est une chose. Mais ce pas en arrière est plus que problématique voire irresponsable: les Syriens de Suisse se sont appuyés sur la directive du 4 septembre, largement médiatisée, pour organiser la mise en sécurité de membres de leur famille, qu’ils soient encore en Syrie ou se trouvant en situation précaire dans un pays limitrophe. Ce qui représente un engagement considérable. Financièrement, car il y a des frais de voyages. Mais surtout sur le plan sécuritaire. Certains étaient peut-être encore en Syrie, et ont franchi la frontière pour se rendre à une ambassade au Liban ou en Turquie, par exemple. De ce fait, si elles ne l’étaient pas déjà, elles sont devenues des réfugiés. Peuvent-elles rentrer chez elles? Actuellement, le HCR dénombre 4,25 millions de personnes déplacées internes en Syrie et 2,1 millions dans les pays limitrophes. Et dans sa prise de position sur la Syrie, l’agence de l’ONU considère que «les Syriens ou résidents de Syrie ayant fui le pays risquent des persécutions du fait qu’ils viennent d’un village ou un quartier contrôlé par une partie au conflit, à laquelle ils seraient automatiquement associés, ou alors du fait de leur religion ou de leur origine ethnique, associée ou perçue comme une partie au conflit.»

Qu’à cela ne tienne, le DFJP compte traiter les 5000 demandes en attente «dans les meilleurs délais, conformément à la directive du 4 septembre 2013 et aux explications du 12 novembre 2013 s’y rapportant.»

Qu’arrivera-t-il à celles et ceux qui ne rempliront pas les conditions financières? La Suisse a une responsabilité envers toutes celles et tous ceux qui ont entrepris les démarches sur la base des informations médiatisées par le DFJP et sa cheffe entre le 4 septembre et le 22 novembre date à laquelle les durcissements ont été rendus publics. Une obligation morale. On ne change pas les règles du jeu en milieu de partie.

Sophie Malka

Dans le même numéro, lire notre article sur les demandes aux ambassades et les visas humanitaires: Une réforme en trompe l’oeil

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