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Le Courrier | Pour apprendre le français, une école réservée aux mamans

A Genève, l’école des mamans accueille des femmes migrantes, souvent en situation de précarité, pour leur enseigner le français.

Article de Laura Steen, publié dans Le Courrier, le 22 août 2014. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

«Que signifie orphelin?» «Pas de père, pas de mère», répond Carla*, d’origine portugaise, étudiante à l’école des mamans de Pâquis-Centre à Genève. «Que veut dire glouton?» Sa voisine répond en gonflant ses joues et mimant quelqu’un qui mange beaucoup. Le français n’est pas encore parfait, mais elles communiquent. Une quinzaine de femmes, presque autant de nationalités, se rassemblent trois fois par semaine à l’école de Pâquis-Centre, pour apprendre le français. Certaines étudiantes y préparent aussi leur examen de naturalisation. Elles viennent de tous horizons: Irak, Inde, Moldavie, Japon, Nigeria, Portugal… Dans la pièce d’à côté qui fait office de garderie, leurs enfants en bas âge attendent la fin de la classe. Derrière la fenêtre, les écoliers vont et viennent au rythme de la sonnerie de l’école primaire: rires et grimaces s’adressent au groupe.

Scène de la vie quotidienne

L’école des mamans de Pâquis-Centre, la première du genre, a ouvert en 2009. Deux cours y sont dispensés: l’un pour les débutantes, l’autre pour celles qui se débrouillent déjà à l’oral et à l’écrit. Et ce trois fois par semaine, pendant une heure et demie. Au menu du cours avancé du vendredi après-midi: discussions sur la vie quotidienne, informations sur l’école, la Suisse, etc. Ce jour-là, un exercice en groupe de compréhension et de lecture. Chaque étudiante dispose devant elle trois feuilles: au recto, la reproduction d’un tableau; au verso, un petit texte. Mis bout à bout, ces énoncés racontent une scène de la vie quotidienne. Dans la bouche des étudiantes, quelques sons ont encore du mal à passer. Le son «en» résonne parfois «on», les «r» roulent toujours. Pour Carla, le son «u» résonne «ou», comme dans sa langue natale. «Le son ‘u’ en français, c’est très snob!», se justifie-t-elle, un large sourire aux lèvres.

L’idée de ces écoles des mamans a émergé il y huit ans, au début du Réseau d’enseignement prioritaire. «A l’école de Pâquis-Centre, nous recevions des familles exclues et de femmes isolées, souvent en situation de grande précarité, se souvient Pascale Poirier, éducatrice et fondatrice de l’école des mamans. Et les offres d’accueil n’étaient pas suffisantes.» Pour les enfants de familles migrantes arrivées en cours d’année, l’intégration dans le système scolaire s’avère compliqué.

L’intégration de l’enfant favorisée

Pascale Poirier et le directeur de l’école de l’époque, Nicolas Bindschedler, ont décidé de prendre le problème à bras le corps et de créer une structure réservée aux mères, à l’intérieur même de l’école primaire, pour leur apprendre le français. L’échec scolaire des enfants constituait par ailleurs un autre pari. «Si les mamans apprennent le français, cela favorise l’intégration de l’enfant dans l’école et dans l’apprentissage.» En guise de rétribution, les mamans organisent plusieurs fois par an un repas, à base de spécialités de leur pays d’origine.

Aujourd’hui, il existe quatre écoles des mamans: Pâquis-Centre, Europe (lire ci-dessous), Jonction-Mail, Palettes-Lancy. Si elles sont toutes cofinancées par la Ville et par l’Etat de Genève, chaque école des mamans fonctionne de manière indépendante. André Castella, délégué à l’intégration, salue «l’un des meilleurs projets d’intégration et de cohésion sociale à Genève». Il espère que d’autres écoles suivront la même voie. Même son de cloche pour Pascale Poirier qui aimerait créer une école des mamans sur la rive gauche.

«Nous avons constaté les effets positifs très rapidement, sourit Jacqueline, intervenante bénévole et membre du comité de l’école de Pâquis-Centre. Ces mamans sont plus à l’aise et s’ouvrent à la vie de quartier. C’est une belle victoire!» En effet, pour la plupart, les mères de l’école des mamans de Pâquis-Centre ne parlaient pas un mot en français en arrivant. Au début, certaines n’osaient pas franchir le pas, mais aujourd’hui, elles avouent ne plus pouvoir s’en passer: «Pour nous, c’est essentiel de parler français, insiste Lilia*, d’origine albanaise, c’est mieux pour trouver du travail». «Ici, c’est bien pour nous car les enfants sont juste à côté», ajoute Yuliana*, venue de Moldavie.

A la fin du mois d’août, pour les inscriptions et les réinscriptions, il faut s’adresser à l’éducatrice de l’école durant la semaine de rentrée des enfants. Pour les mères, la rentrée des classes se fera autour du 15 septembre.
*Prénoms d’emprunt.