Intégration | Désir ou contrainte?
Intégration. Un mot-valise dans lequel chacun peut mettre sa représentation du monde et de la societé. En Suisse, l’intégration des étrangers se décline au niveau fédéral non pas comme on pourrait s’y attendre dans une loi ad hoc, mais dans la Loi sur les étrangers et une ordonnance spécifique, ainsi que dans la Loi sur la nationalité. Alors que la notion –qu’est-ce qu’être intégré?- n’y est pas définie, l’Ordonnance sur l’intégration des étrangers «fixe les principes et les buts de l’intégration des étrangers, ainsi que la contribution des étrangers au processus d’intégration» (art. 1). Peu d’obligations concrètes pèsent sur les autorités, hormis d’informer ou de «favoriser» l’intégration. Un grand pouvoir de sanction et d’appréciation leur est offert, en revanche, en liant explicitement l’intégration des personnes au statut que cette autorité peut lui accorder. Du permis F à l’acquisition de la nationalité suisse, cette approche de la carotte et du bâton imprègne en profondeur la politique de l’intégration à la sauce helvétique.
Loi sur la nationalité
L’acquisition du passeport est la marque, pour l’individu naturalisé, de son «désir d’être perçu comme membre à part entière de la société et de participer à cette vie en société» (1) et pour la société en question, qu’elle le reconnaît comme tel. C’est le nec plus ultra des statuts, puisqu’il garantit l’accès à tous les droits liés à la citoyenneté, notamment les droits politiques. (2)
Mais en amont, il y a un long parcours du combattant que les Chambres fédérales ont rendu plus difficile encore le 20 juin dernier dans la nouvelle Loi sur la nationalité, sous prétexte d’éprouver l’«intégration» des candidats. En exigeant dès le 1er janvier 2015 la détention du permis C et non plus du permis B, en ne comptabilisant plus du tout les années passées sous permis N et uniquement la moitié des années passées en Suisse sous le régime de l’admission provisoire, les élu-e-s ont éloigné la perspective d’obtention du passeport, envoyant un signal très négatif aux étrangers séjournant en Suisse depuis souvent des années. Un signal qui vise en particulier les personnes pour lesquelles le chemin à parcourir sera déjà semé d’embûches. Ainsi, une personne de faible niveau socio-économique, avec un bas niveau de formation, aura davantage de chemin à faire pour maîtriser à l’écrit la langue de Molière. Et comment les autorités calculeront-elles les années de séjour des enfants tributaires du statut de leur parents? La division du monde se fait ici quasiment naturellement. Dans ce processus, le législateur ne s’est pas caché de vouloir rendre plus ardu l’accès au passeport suisse. Difficile d’y lire une «volonté» d’intégrer.
Programmes d’intégration cantonaux
Le 28 février 2014, cantons et Confédération ont annoncé le lancement de Programmes d’intégration cantonaux 2014-2017 (PIC). Définis par les cantons, en accord avec la Confédération, ceux-ci énoncent des «objectifs d’intégration contraignants». Selon le communiqué des autorités, ils découlent d’une « stratégie commune en matière d’intégration, dont les objectifs primordiaux sont le renforcement de la cohésion sociale, le respect et la tolérance mutuelle, ainsi que la participation, sous le signe de l’égalité des chances, des étrangers à la vie en Suisse». Primo-information des nouveaux arrivants, apprentissage de la langue, formation et prise en charge des jeunes enfants, intégration sur le marché du travail ou encore interprétariat communautaire sont parmi les domaines déficitaires pour lesquels les cantons sont tenus de prendre des mesures spécifiques et de pouvoir faire un suivi, par le biais d’«indicateurs».
Démarré en 2011, le processus ayant abouti aux PIC visait notamment à harmoniser des pratiques cantonales et communales très disparates. Le fait que chaque canton ait pu composer son propre programme ne gommera certainement pas les différentes conceptions de l’intégration: assimilation pour certains (l’étranger est tenu d’abandonner sa propre culture pour embrasser celle de son pays d’accueil, prégnante en Suisse alémanique (3), rapprochement mutuel pour d’autres (plus marquée en Suisse romande: l’étranger intègre les codes culturels de sa terre d’adoption tout en composant avec son identité culturelle). De surcroît, les cantons devront faire mieux avec les subsides qu’ils recevaient jusqu’à présent. Reste à savoir comment ils mettront en œuvre leurs engagements. Et s’il est trop tôt pour évaluer les effets de ces PIC sur l’intégration des étrangers dans la formation, sur le marché du travail et dans la société en général, de nombreux acteurs de terrain pointent du doigt l’esprit dans lequel s’inscrit la politique fédérale de l’intégration.
Le désir de s’intégrer, une réalité
La lecture des textes législatifs (Loi sur les étrangers et Ordonnance sur l’intégration des étrangers (OIE) en particulier) laisse en effet émaner l’impression que les étrangers n’ont pas envie de s’intégrer, d’où un régime d’obligations et de sanctions, que concrétisent les Conventions d’intégration mises en place dans certains cantons et prévues par l’OIE. Philosophie qu’un projet de révision de la loi sur les étrangers, en suspens depuis le 9 février, voudrait encore accentuer. Or, sur le terrain, l’envie des étrangers, tous statuts confondus, de participer à cette vie locale et du pays d’accueil est patente. Et se heurte souvent à des obstacles administratifs, institutionnels et statutaires. L’accès aux cours de français, l’accès à l’emploi, la liberté d’établissement sont limités pour les statuts les plus précaires. Ils conditionneront pourtant l’accès à un statut plus stable.
Les titulaires de permis F (admission provisoire) souffrent structurellement de leur statut sur le marché de l’emploi, du fait de la dénomination de leur permis et du caractère annuel de son renouvellement.
Les demandeurs d’asile (permis N) sont, dans la plupart des cantons, écartés des mesures d’intégration, notamment des cours de français au-delà d’un certain niveau, même si l’on sait que, si on exclut du calcul les personnes ayant reçu une décision NEM, quasiment les 2/3 d’entre eux se verront reconnaître un besoin de protection et resteront en Suisse.
Freinés dans leur apprentissage de la langue durant une procédure qui s’étend sur plusieurs années, ils perdent des compétences et se démotivent. Pour Lucine Miserez Bouleau, assistante sociale au Secteur réfugiés du Centre social protestant Genève, «il faudrait au contraire mettre le paquet au début de la procédure pour que chacun, en fonction de ses besoins, acquière le meilleur niveau de français. S’ils reçoivent une décision négative, ce sera une perte relative pour la société, mais pas pour la personne, au moment où elle repartira chez elle. Mais si la décision est positive, tout le monde en sortira gagnant. Notamment car le demandeur d’asile sera resté mobilisé et pourra plus facilement trouver un emploi, aller à la rencontre des résidents suisses, comprendre comment fonctionne notre société». Autrement dit, s’intégrer.
Sophie Malka
Notes:
(1) Commission fédérale pour les questions de migration, Naturalisation, propositions et recommandations pour un droit de cité contemporain, 2012.
(2) Huit cantons ont accordé des droits de vote et/ou d’éligibilité sur le plan cantonal ou communal aux étrangers établis sur leur territoire sous certaines conditions.
(3) Les marges de manœuvre au sein du fédéralisme: la politique de migration dans les cantons, CFM, 2011 cité in Quand « encourager et exiger » devient « surveiller et punir, prise de position de la Coordination contre l’exclusion et la xénophobie sur la révision de la LEtr.
Définition de l’intégration par le HCR
«Des millions de réfugiés vivent éloignés de leur pays durant de nombreuses années. La persécution et les conflits armés les privent de toute chance de pouvoir rentrer chez eux un jour. Pour les personnes dans l’impossibilité de rentrer à long terme, l’intégration dans leur pays d’accueil est la solution qui s’impose. L’intégration sur place est toutefois un processus complexe, qui implique des questions juridiques, économiques, sociales et culturelles. Tant les réfugiés que la société d’accueil doivent faire un pas les uns vers les autres, afin de pouvoir vivre en harmonie. Les bases d’une intégration réussie peuvent cependant déjà être posées à l’accueil des réfugiés. Que les réfugiés soient placés pendant une longue période, isolés, dans des logements collectifs ou qu’ils puissent faire connaissance avec la société d’accueil dès le début fait une grande différence.
Le soutien dans l’acquisition des langues, dans la reconnaissance de leurs qualifications et diplômes, ainsi que l’intégration dans la société bénéficient non seulement aux réfugiés mais aussi à la société d’accueil, sur les plans tant économique que social et culturel. L’acquisition de la nationalité du pays constitue souvent le point culminant de ce processus. Le HCR estime qu’au cours de la décennie écoulée, près de 1,1 million de réfugiés dans le monde sont devenus citoyens de leur pays d’asile.