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Le Courrier | L’émotion reste vive après l’incendie des Tattes

Une action de solidarité auprès des résidents du foyer a eu lieu dimanche, afin d’améliorer des conditions de vie des plus précaires.

Article de Laura Drompt, publié dans Le Courrier, le 12 janvier 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Il a suffi de quelques tables dressées avec des gâteaux, du thé et du café ainsi qu’une bonne dose de solidarité pour animer la cour du foyer des Tattes ce dimanche.

La rencontre a été organisée à l’appel du comité de solidarité avec les sinistrés des Tattes, mais se voulait avant tout une action citoyenne. Car, à la suite de l’incendie du centre pour requérants d’asile de Vernier qui avait causé une quarantaine de blessés et un mort, et face au manque de prise en charge, plusieurs personnes ont ressenti le besoin d’agir. Deux heures durant, les habitants du foyer et quelques dizaines de genevois ont ainsi échangé leurs histoires respectives, dans une atmosphère détendue.

«Des conditions de vie dégradantes»

Utilisant un banc de la cour comme tribune, Viviane Luisier, du comité de soutien des sinistrés des Tattes, a pris la parole: «Nous, habitants de Genève, sommes choqués de vos conditions de vies dégradées et dégradantes.» Dénonçant un «climat sans chaleur, sans pitié, indifférent et xénophobe», elle a appelé de ses vœux une Suisse qui «accueille de façon humaine les personnes fuyant les violences à travers le monde».

Des feuilles en plusieurs langues circulent parmi la cinquantaine de requérants d’asile présents. Elles énoncent une longue liste de problèmes: manquements à la sécurité dans le bâtiment, surpopulation, manque de suivi médical ou psychologique, flou dans les indemnisations, renvoi de personnes blessées…

Dimanche était l’occasion de réaliser une première prise de contact. Pour le comité de solidarité, l’étape suivante serait d’organiser des réunions avec les habitants du centre dans une salle à l’écart des Tattes, afin que les requérants puissent coordonner leurs demandes.

Une extrême fragilité

Après le discours, l’effervescence gagne le groupe. Une liste circule, rassemblant les noms des personnes intéressées à recevoir les informations sur les réunions à venir. L’incendie est dans toutes les têtes, mais ce sont les conditions de vie en général qui ressortent des discussions. Rachid était là, la nuit où le feu a pris. L’événement l’a marqué. «Mais ici, de toute façon, tu meurs au ralenti. Tous les jours, les gens souffrent et le pire, c’est l’isolement. Dans la rue, dès qu’on dit les mots ‘requérant d’asile’, on voit les gens reculer.»
Karim l’interrompt. Il montre les cicatrices sur ses bras. «Les gens deviennent fous. Moi j’ai voulu en finir. Il faut que vous expliquiez ce qu’on vit.» Aux Tattes, le besoin de parler est criant. La fragilité omniprésente. Neher, lui, aimerait surtout travailler. «On nous donnes des bons de 15 francs pour manger pendant une semaine. Comment vivre dans ces conditions? Plutôt que de recevoir de l’argent en petite quantité, j’aimerais avoir du travail. Même si c’est pas grand-chose, même payé à moitié prix.»

Le temps d’une minute de silence, les conversations s’arrêtent et les pensées s’adressent à la victime de l’incendie. Filmon relate les problèmes de son ami, actuellement hospitalisé à cause du choc psychologique: «Ça a rendu Elias fou. Il était coincé au premier étage, et il a vu les gens sauter par la fenêtre. Après ça, il était choqué, il restait prostré. Il ne voulait plus dormir ici. Nous avons bien vu que quelque chose n’allait pas, mais personne n’a rien fait pour lui, il n’a pas reçu l’aide adaptée. Alors c’est nous qui l’avons amené à l’hôpital.»
Les prises de parole sur le banc se succèdent. Dans la foule, les commentaires fusent. «Il faut traduire, les Erythréens ne parlent pas le français», suggère l’un. «Oui, il faut mieux expliquer. Parce que là, il y en a qui croient qu’on va leur donner des papiers», remarque un autre.

Soudain, les discussions se figent. La sécurité a appelé la police pour dénoncer une «manifestation non autorisée par l’Hospice général». Ils sont sept agents, qui commencent à contrôler l’identité des participants. Du côté des Genevois qui ont apporté les victuailles, c’est l’incompréhension. «Mais on ne fait rien d’illégal! D’ailleurs, si vous voulez, vous pouvez prendre un café ou manger quelque chose.» Chez les requérants d’asile, c’est le désabusement qui prévaut. «C’est toujours comme ça, vous savez. Quoi qu’on fasse, il y a toujours la police qui débarque.»