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Documentation

Regard de Marie-Pierre Maystre | Y a-t-il différentes catégories d’êtres humains?

Marie-Pierre Maystre, psychothérapeute, revient sur les lacunes dans la prise en charge des résidents du foyer des Tattes, à Vernier, après l’incendie qui a fait un mort.

Le bilan de l’incendie dans l’un des bâtiments du centre pour requérants d’asile des Tattes, survenu dans la nuit du 16 au 17 novembre, est le suivant: un mort, une quarantaine de blessés, dont onze grièvement, une personne expulsée (encore avec ses béquilles) et plus d’une centaine de résidents sous le choc.

Texte de Marie-Pierre Maystre, psychothérapeute, paru dans Le Courrier, le 13 janvier 2015. Cliquez ici pour lire le texte de Mme Maystre sur le site du Courrier.

Quelle ne fut pas mon indignation, en tant que personne mais aussi psychothérapeute, de ne rien lire quant au suivi psychologique des victimes de cet incendie, dont on peut imaginer le degré de panique et d’angoisse devant des issues verrouillées, les hurlements avant que les secours n’arrivent. Je ne vais pas m’étendre sur ce fait –heureusement la justice en a été saisie– quoique scandaleux. Pourquoi enfermer les gens comme dans une prison si il y a des Securitas pour ce qui est de la sécurité?

Pour avoir travaillé pendant vingt-huit ans au Service médico-pédagogique, je me rappelle avoir été appelée en tant que psychothérapeute dans des classes face à un événement dit de crise (décès d’un parent d’un élève; maladie, décès ou accident grave d’un enfant; situation de violence, etc.) sur demande de l’école. Offrir de telles prestations s’inscrit dans notre mandat en tant que service rattaché au Département de l’instruction publique.

Pour avoir suivi une formation en «débriefing» individuel et/ou de groupe, je sais qu’il existe le dispositif Osiris –qui a remplacé ISIS– dont l’article du Règlement sur l’organisation de l’intervention dans des situations exceptionnelles stipule: «Le présent règlement établit les organes de conduite et les modalités de fonctionnement nécessaires aux pouvoirs publics pour faire face à des situations exceptionnelles et complète les dispositions légales et réglementaires relatives aux divers types de risque et d’intervention et s’y substitue s’il y a lieu en vue de protéger la population, les infrastructures et les bases de la vie.»

Il existe aussi une cellule d’intervention psychologique: l’AGPsy-Police. Ses membres sont des psychologues spécialisés dans l’aide aux victimes, joignables 24h sur 24 par la centrale de police genevoise. Des sessions dites de «débriefing» sont organisées en groupe dans les situations où plusieurs personnes sont impliquées; la durée peut varier de quinze jours à quelques mois; des personnes nécessitant un suivi thérapeutique particulier peuvent être adressées à des structures adéquates.

Le concept de ce type d’intervention? «Toute personne, exposée à un événement au cours duquel des individus ont pu mourir ou être gravement atteints dans leur intégrité psychologique ou physique, peut présenter des réactions psychiques susceptibles de la marquer durablement qui peuvent être somatiques, cognitives, émotionnelles et/ou comportementales. Ces réactions peuvent se manifester sur-le-champ ou plus tard (…). Il arrive qu’elles se chronicisent, dans ce que nous qualifions de ‘état de stress post-traumatique’. (…) Il va sans dire que l’intervention sera principalement ciblée sur la prévention de l’état de stress post-traumatique, en aidant la personne à ne pas rester figée au moment du traumatisme» (Le descriptif officiel de la cellule psychologique est accessible sur le site de l’Association genevoise des psychologues).

Mon indignation est là! Ces dispositifs ont-ils été présentés à ces personnes qui, par définition, étant en «procédure d’asile», ont subi des situations traumatiques antérieures? Cela supposerait que le soin (la bienveillance et l’accueil de leur parole, de leurs émotions et réactions) consacré à chacune d’entre elles, en individuel et/ou en petits groupes, soit majoré. Pourquoi ces dispositifs n’ont-ils pas été activés comme il se doit (et non en placardant un avis en français –inaccessible à bon nombre)? Je ne peux pas croire que tout ait été fait! et c’est là que je m’insurge en tant que citoyenne et thérapeute… A croire qu’il y a des personnes dignes de ces cellules de crise et d’autres pour lesquelles cela ne vaut pas la peine. Y a-t-il différentes catégories d’êtres humains? A-t-on jugé inutile, pour des gens en procédure d’asile venus d’on ne sait où, de mobiliser des forces… et de leur offrir un suivi digne de ce nom? De les réunir, les écouter et prendre en compte les angoisses vécues, ce que cette catastrophe a réveillé en elles (traumatismes précédents, fuite du pays, regrets, voire remords…), ce qu’elles ont vécu au moment du drame, etc., pour les accompagner finalement dans la mise en œuvre d’une action symbolique afin de dépasser ce moment traumatique et espérer aller de l’avant? et ce, sans oublier des indemnisations dignes de ce nom, signe d’une reconnaissance du tort subi, ainsi qu’une mise en lumière, s’il y a lieu, des responsabilités engagées tant de l’Hospice général que de l’Etat en les en tenant informés. Et il s’agit bien sûr de remédier à des situations inacceptables tel cet enfermement.

J’ai honte pour Genève: ne juge-t-on pas le degré de civilisation d’un pays à la façon dont il traite les plus fragiles? Cet incendie a plongé une fois de plus ces personnes dans une situation de vulnérabilité, dans un pays qui est le nôtre. Alors qu’elles sont venues rechercher un accueil digne de ce nom, protection et reconnaissance, elles ne trouvent que silence, indifférence, négligence à personne en danger psychique et humiliation (de par le montant d’indemnisation alloué, entre autre, et la façon qu’on leur a fait signer à la va-vite une décharge). Ce qui revient, il faut le dire, à une maltraitance supplémentaire. Indignons-nous! Réagissons!