Migration irrégulière: la faute aux passeurs…ou aux politiques de l’Union européenne?
Le Comptoir des médias est intervenu auprès du mensuel Sept.info, à propos de l’éditorial du numéro de septembre 2015, intitulé » Et si on s’attaquait aux mafieux plutôt qu’aux migrants « . Le Comptoir s’est centré sur deux aspects: la figure du passeur et l’utilisation du terme « immigré illégal ».
Selon le rédacteur en chef Patrick Vallélian, auteur de l’article, la cause de la vague de migration irrégulière en Europe est à rechercher dans les réseaux de passeurs. Ces derniers sont décrits comme « les seuls qui sourient en regardant ce spectacle affligeant pour le Vieux Continent, les vrais gagnants de cette comédie sanglante ». Ils seraient des « mafieux discrets », des « profiteurs de guerre ». Dans son intervention, le Comptoir explique que la cause de l’augmentation de la migration irrégulière réside plutôt dans les politiques migratoires restrictives mises en place par l’Union européenne, et met en évidence la complexité de la figure du passeur. Voici les arguments du Comptoir:
Concernant la figure du « passeur », nous pensons que votre raisonnement sur les causes de la migration irrégulière devrait être inversé: ce n’est pas du côté de l’ »offre » qu’il faut se pencher, mais bien du côté des politiques restrictives de l’Union européenne, qui entraînent la demande de services des passeurs. Si les personnes fuyant des conflits ou des persécutions personnelles avaient à disposition des canaux légaux pour entrer en Europe les passeurs n’auraient aucune raison d’exister. Pourquoi payer des milliers de francs pour un itinéraire qui ne coûte, si on est muni des « bons papiers », qu’une centaine d’euros?
À ce propos, je vous renvoie à l’article « Don’t blame the smugglers: the real migration industry« , écrit par Hein de Haas, Professeur de sociologie à l’université d’Amsterdam. M. de Haas met en évidence le cercle vicieux dans lequel se trouve actuellement l’Union européenne. Aux tragédies des morts des migrants, l’UE répond par des mesures restrictives destinées à contrer les passeurs, telle l’opération Navfor Med, lancée en juin dernier. Sauf qu’au lieu de décourager les passeurs, ces mesures ne font qu’augmenter la dangerosité du passage, causant encore plus de morts, et ainsi de suite.
Selon le portrait que vous brossez, les passeurs constitueraient des « réseaux de mieux en mieux organisés et qui brassent des fortunes ». En réalité, la figure du passeur est beaucoup plus complexe: il n’est ni un criminel sans scrupules, ni un héros animé par des motivations humanitaires. Il est souvent tout cela à la fois, à des degrés différents. Et il y a plusieurs cas de figure: s’il y a certes des moyennes ou grosses organisations impliquées dans l’univers des passeurs, l’on peut trouver également beaucoup de personnes agissant seules ou à deux ou trois, que l’on pourrait appeler des passeurs « non-professionnels » et souvent migrants eux-mêmes, ou, comme vous le dites dans votre journal, des passeurs « à temps partiel ». Ils sont criminels au sens strictement juridique du terme – ils enfreignent les lois stipulant que c’est interdit d’aider des migrants sans papiers-, mais peut-on vraiment les considérer comme tels? Pendant la deuxième guerre mondiale, des passeurs sauvaient les Juifs et les résistants au nazisme sur les montagnes suisses (v. l’article « Wartime ‘people smugglers’ finally feted as heros« , paru sur swissinfo.ch récemment). Et à l’époque, ils étaient aussi considérés par les autorités comme des criminels…
Quand à la terminologie, le Comptoir des médias insiste sur l’importance d’utiliser l’expression « migrant en situation irrégulière »:
Concernant le terme « illégal », il faut noter que vous l’utilisez pour qualifier des personnes migrantes. Pour être plus précis, vous utilisez le terme de « migrants illégaux ». Or, l’adjectif « illégal » renvoie aux notions de « crime », « délit » et « hors-la-loi ». Dans le contexte que vous décrivez, il s’agit de personnes qui entrent dans un territoire sans les « bons papiers », mais non pas de criminels. Pour cette raison Vivre Ensemble, comme d’autres associations en Suisse et au-delà, milite pour qu’il soit remplacé par le terme « migrant en situation irrégulière ». Lors d’une conférence tenue à Genève le 22 janvier 2014, François Crépeau, Rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l’homme des migrants, a justement insisté sur le fait que si l’irrégularité correspond à la violation d’une règle juridique, il s’agit en l’espèce pour les migrants ou réfugiés de « passer la frontière sans les documents requis »; une violation d’un droit administratif du même ordre qu’un parcage hors d’une zone bleue.
Ensuite, si une personne peut commettre une action illégale, elle ne peut en aucun cas être illégale. Ce terme, qui se réfère d’habitude à des actes, rend l’existence même de ces personnes illégitime et ne tient pas compte de leurs expériences en tant que hommes, femmes, travailleurs, enfants ou personnes âgées. Si vous souhaitez avoir plus d’informations à ce sujet, je vous renvoie à la brochure publiée par la Plateforme pour la Coopération Internationale sur les Sans-Papiers (PICUM) : http://picum.org/picum.org/uploads/file_/Leaflet_FR_1.pdf.
Patrick Vallélian nous répond le 12 octobre, de manière extrêmement synthétique:
Merci pour votre envoi.
Je prends note de vos remarques, mais elles ne changent pas mon point de vue sur la situation actuelle.
Elle est due en grande partie aux mafias qui font un fric énorme sur le dos des migrants.
Et oui, ces migrants sont illégaux, pour beaucoup.
Autant dire que parfois, malgré la force de nos arguments,