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Le Courrier | «Nous resterons ici tant que la sûreté des migrants ne sera pas garantie»

Dimanche, six requérants d’asile menacés de renvoi et leurs défenseurs ont investi la paroisse de Saint-Laurent. L’Eglise réformée dénonce un «coup de force».

Article de Mario Togni, publié dans Le Courrier, le 10 mars 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

L’église Saint-Laurent, au cœur de Lausanne, s’est transformée en refuge pour six requérants d’asile menacés de renvoi. Accompagnés des militants du collectif R, les migrants originaires d’Erythrée et d’Ethiopie – quatre hommes et une femme – ont investi les lieux dimanche après le culte du matin. «Ces personnes sont arrivées en Suisse sans valise mais avec un bagage de souffrances très lourd, qu’elles aimeraient bien poser quelque part», illustre Graziella de Coulon, membre du collectif.

La situation est sommaire mais offre un bol d’air bienvenu aux six requérants. Certains d’entre eux vivent depuis plusieurs mois dans la crainte d’une expulsion vers l’Italie, la Hollande ou la Suède, en regard des accords de Dublin. Des matelas à même le sol, des tables et de la nourriture, quelques banderoles militantes, voilà le décor de la petite salle de paroisse de Saint-Laurent, où ils espèrent dormir sur leurs deux oreilles, quelque temps du moins.

Dinkenesh*, opposante politique éthiopienne de 29 ans, éclate en sanglots lorsqu’elle évoque son parcours parsemé de violences et son angoisse quotidienne, depuis cinq mois en Suisse, alors qu’elle souffre de stress post-traumatique. «Je dois pouvoir rester là pour sauver ma vie, pour préserver ma santé. Je n’ai pas la force de supporter un nouveau départ vers un autre pays.»

«Un cri d’indignation»

Mikili, Abraham ou Andom, eux, ont tous fui l’Erythrée, sa dictature et son service militaire à durée indéterminée, avant de longs voyages à travers l’Ethiopie, le Soudan ou la Libye, puis la Méditerranée. La faim, la prison, les coups, autant de traumatismes qu’ils souhaitent aujourd’hui laisser derrière eux et se reconstruire. «Depuis que je suis ici, je dors mieux. Votre soutien nous donne la force de tenir le coup», témoigne Abraham, à l’adresse des militants présents.

Pour Jean-Michel Dolivo, député de La Gauche et avocat, «ce refuge est une nécessité pour protéger ces gens, mais aussi un cri d’indignation». Le militant interpelle les autorités cantonales, afin qu’elles examinent les demandes d’asile de ces personnes, mais aussi qu’elles décrètent un moratoire sur les renvois vers l’Italie. La situation des migrants, hébergés dans des camps souvent insalubres ou vivant dans la rue, y est catastrophique, dénonce-t-il. «C’est leur devoir moral, politique et humain.»

«On pourrait espérer d’un Conseil d’Etat de gauche qu’il s’engage davantage sur ce dossier», ajoute Anne-Catherine Menétrey-Savary, ancienne conseillère nationale écologiste. «On a l’impression qu’un seul chef de département (le PLR Philippe Leuba, ndlr) dirige seul et souverainement.» Le collectif a demandé à rencontrer le gouvernement dans les plus brefs délais. Hier soir, à l’heure de mettre sous presse, son président socialiste Pierre-Yves Maillard n’avait pas répondu à nos appels.

En attendant, le maintien du refuge de l’église Saint-Laurent est loin d’être assuré. Dimanche, puis hier matin, les discussions avec l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV), qui avait demandé au collectif de quitter les lieux à 10 h, ont été plutôt houleuses. Xavier Paillard, président du Conseil synodal, dénonce un «coup de force», malgré la sensibilité de son Eglise pour le sort des migrants. «Ce n’est pas un refuge, c’est une occupation. Nous sommes placés devant le fait accompli, ces méthodes sont inadmissibles.»

Une évacuation semble toutefois peu probable pour l’instant. «La question s’est posée, mais nous ne voulons pas agir dans la précipitation», poursuit le pasteur. Les discussions entre les Eglises – protestantes et catholiques – en vue de l’ouverture d’un refuge durent déjà depuis plus d’une année. «Cette occupation ne facilite pas notre travail pour convaincre des paroisses de l’accueillir», ajoute Xavier Paillard.

«Nous ne voulons pas troubler l’activité de la paroisse. Nous sommes prêts à changer de lieu, si un autre endroit nous est proposé», répond Jean-Michel Dolivo. «Mais nous resterons tant que la sûreté des migrants ne sera pas garantie ailleurs.» L’EERV dit avoir proposé une alternative, refusée par le collectif. «Il n’y a pas de discussions en cours», précise Xavier Paillard, qui en appelle aux autorités politiques. La ville de Lausanne, propriétaire des murs de Saint-Laurent, est aussi impliquée dans les négociations.

*Prénom d’emprunt