Le Courrier | Malaise au sein des Eglises vaudoises
Refuge de Saint-Laurent • Des fidèles critiquent la fermeté des Eglises et les appellent à rouvrir le dialogue avec les défenseurs des migrants. La hiérarchie tolère le refuge, mais estime que la «confiance est rompue».
Article de Mario Togni, publié le 19 mars 2015 dans Le Courrier. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.
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Devant l’Eglise de Saint-Laurent, le jour de la manifestation. Photo: Alberto Campi, 2015[/caption]
«Salut à vous, membres du collectif R. A ceux de mon peuple, dit Dieu, je vous tiens les portes ouvertes. Entrez donc, tels que vous êtes.» En introduction du culte de dimanche, l’accueil était clair et chaleureux à l’église Saint-Laurent, à Lausanne. Le pasteur Jean Chollet s’adressait aux six requérants d’asile érythréens et éthiopiens menacés de renvoi, et à leurs défenseurs, qui ont trouvé refuge dans ses murs une semaine plus tôt, sans demander la permission.
La hiérarchie de l’Eglise évangélique réformée vaudoise (EERV), elle, entonne un tout autre discours depuis l’occupation du 8 mars. Elle a immédiatement dénoncé un «coup de force», une «prise d’otage», voire une «instrumentalisation politique». Elle refuse de cautionner ce mouvement et ses méthodes cavalières, sans toutefois avoir déposé plainte. L’Eglise catholique suit la même ligne.
Tradition de refuge
Où est donc passée la tradition de refuge des Eglises vaudoises? Pourquoi le dialogue s’est-il rompu? Dans les années 2000, le mouvement de résistance à l’expulsion de requérants d’asile a connu son âge d’or, avec un appui ferme des communautés religieuses. Le refuge de l’église de Bellevaux, en 2001, a laissé place quelques années plus tard à la lutte des 523 déboutés, pour qui de nombreuses paroisses protestantes et catholiques ont ouvert leurs portes, durant des mois.
Parmi les fidèles, la fermeté actuelle des Eglises commence à susciter des critiques. A Saint-Laurent, ce dimanche, les paroissiens n’ont pas hésité à lancer une pétition de soutien aux réfugiés. «La position de la hiérarchie est maladroite et frileuse», relève Vincent Léchaire, membre de cette communauté, mais aussi président des Chrétiens de gauche romands, un groupement œcuménique. «Nous voulons rappeler la tradition d’accueil de l’Eglise. Accueillir l’autre, sans conditions, est au cœur de notre mission, comme nous le rappelle aujourd’hui la société civile.»
Curés et pasteurs solidaires
Depuis une semaine, plusieurs pasteurs et curés de la région sont aussi venus témoigner leur solidarité auprès des migrants. Comme ce curé d’une paroisse catholique lausannoise, croisé au lendemain de l’occupation. «J’ai peur pour nos amis érythréens et éthiopiens et je comprends l’impatience de ceux qui les défendent, disait-il. Les Eglises font beaucoup au quotidien pour les réfugiés, mais il y a parfois besoin d’actions symboliques pour faire avancer les choses.»
Hélène Küng, ancienne pasteure et directrice du Centre social protestant (CSP), abonde. «Nous sommes alertés depuis de nombreux mois sur la problématique des renvois Dublin, notamment vers l’Italie. Je ne suis pas étonnée de cette occupation.» En 2004, elle-même s’était engagée dans la défense des «523». A ceux qui dénoncent aujourd’hui un «passage en force», elle rappelle que les refuges ne sont jamais passés comme une lettre à la poste. «Il ne faut pas idéaliser les époques passées. Il y a toujours eu d’intenses négociations entre les militants et les Eglises.»
Selon elle, la position de l’EERV n’a pourtant pas changé. «Elle reste sensible à la cause des migrants. Mais certaines expériences se sont mal passées, avec des désaccords qui s’expriment dans le blocage actuel. Je souhaite qu’un dialogue puisse se rouvrir.» En l’occurrence, le dernier refuge en date à Lausanne, en 2010-2011, s’est terminé sur fond de tensions, après 120 jours durant lesquels une poignée de requérants africains ont été abrités dans différentes paroisses.
Délicat dialogue
Depuis, le dialogue est délicat. Les défenseurs des migrants discutent depuis plusieurs mois avec les Eglises afin d’ouvrir un refuge, sans succès. Au-delà de la hiérarchie, la plupart des paroisses y sont devenues réticentes. «Les Eglises ne veulent pas être instrumentalisées. Par le passé, la collaboration a été parfois difficile. La confiance est aujourd’hui rompue», relève Pascal Bregnard, délégué à la solidarité de l’Eglise catholique.
Vincent Léchaire émet une autre hypothèse, liée à la proximité des Eglises vaudoises avec l’Etat qui les subventionne: «Plus elles sont proches de l’Etat, plus les Eglises peinent à contester la politique des autorités. Dans un contexte qui se raidit sur les questions migratoires, elles devraient au contraire être plus courageuses et ne pas baisser les bras.» Il évoque par ailleurs une «crise institutionnelle», alors que l’Eglise s’est professionnalisée et doit gérer de lourdes tâches administratives. «Elle perd parfois de vue le principal: remettre l’humain au centre.»
Xavier Paillard, président du Conseil synodal de l’EERV, conteste toute évolution de l’Eglise sur le fond. «Nous n’adhérons pas aux revendications jusqu’au-boutistes et aux méthodes du collectif R, mais nous ne sommes pas opposés à l’accueil des réfugiés. Nous n’avons d’ailleurs rien entrepris pour les déloger afin de ne pas mettre en danger des personnes déjà fragilisées.» Quant aux critiques de certains fidèles? «Chaque fois que l’Eglise prend une position, il y a des réactions nuancées, poursuit-il. Nous devons en tenir compte. Je constate qu’au niveau de la base, à Saint-Laurent, une relation fraternelle s’installe, et c’est très bien ainsi.»