Le Courrier | De l’enfer de l’exil à l’église lausannoise de Saint-Laurent
Amar, Erythréen de 21 ans réfugié à l’église Saint-Laurent, raconte l’horreur du périple qu’il a parcouru pour arriver en Suisse.
Article de Sophie Dupont publié dans Le Courrier, le 8 avril 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.
C’est un havre où il se repose après des nuits d’angoisse au bunker, veillées dans la crainte d’une irruption de la police. Amar est soulagé d’être à l’église Saint-Laurent, même s’il a dû surmonter ses craintes de s’y sentir enfermé. Sa seule préoccupation, «être en sécurité», est à mille lieues des vagues politiques que suscite l’occupation de l’église du centre-ville lausannois.
Le jeune homme de 21 ans est arrivé en Suisse il y a six mois, après un périple cauchemardesque dont il ne savait pas s’il sortirait vivant. En vertu des accords Dublin, il est menacé de renvoi en Italie. «Plutôt me tuer que d’y retourner», affirme-t-il, devant la perspective de se retrouver à la rue.
En cet après-midi, les occupants de la salle de paroisse discutent avec deux Erythréennes venues apporter un repas à leurs compatriotes. Des rideaux tendus donnent un semblant d’intimité aux matelas disposés au sol. Amar, benjamin des six résidents du refuge, cache sa timidité en pianotant sur son téléphone. Venu du Nord-Ouest de l’Erythrée, il ne partage pas la même langue que ses compagnons.
A la merci des passeurs
Dans son village, Amar était éleveur, comme son père. Lorsqu’il reçoit un ordre de marche, sa mère le supplie de quitter le pays pour échapper à un service militaire apparenté à du travail forcé, qui se prolonge souvent indéfiniment. Comme des centaines de milliers d’autres Erythréens, il s’enfuit au Soudan. Ce ne sera qu’une étape. «Au Soudan, les immigrés ne sont pas bien considérés et c’est difficile de trouver un bon travail», rapporte-t-il.
Le jeune homme ne rêve que d’Europe, où il imagine des chances égales et des opportunités pour tous. Pour réunir les 2000 dollars qui lui permettront de se rendre en Libye, Amar travaille dans une boulangerie. Il vit dans une maison abandonnée avec ses compagnons de route.
Une fois la somme réunie commence un voyage de l’horreur. Sur un camion surchargé, Amar passe dix jours dans le désert. «Pour que nous ne buvions pas trop, les passeurs mélangeaient un peu de pétrole à l’eau. Des gens sont morts de soif, d’épuisement, de maladie.» Les émigrés échappent aux bandes criminelles qui sillonnent le désert pour enlever les réfugiés, en espérant arracher des rançons à leurs familles.
En Libye, le jeune homme et ses compagnons sont séquestrés par les passeurs, qui les obligent à payer un supplément pour Tripoli. Arrivé près de la capitale, il est à nouveau enfermé pendant un mois. «Nos geôliers voulaient éviter que nous rejoignions une bande de passeurs concurrente», explique-t-il. Amar paiera 700 dollars pour traverser la Méditerranée, le prix de l’option bas de gamme du voyage: un bateau gonflable sur lequel s’entassent plus de 100 personnes. «Je ne savais pas nager, comme la plupart des gens. Nous n’osions ni boire ni manger, de peur de faire basculer le bateau en bougeant», témoigne-t-il. Après deux jours en mer, les voyageurs appellent la marine italienne.
Fuir l’Italie, au plus vite
Arrivé sur terre, Amar est transporté en bus jusqu’à Gênes, puis parqué dans une salle pendant des heures. Les requérants sont emmenés par petits groupes pour un prélèvement des empreintes digitales. Il tente de refuser. «En Libye, des gens m’avaient informé de la situation en Italie. Je ne voulais pas rester ici.»
Amar quitte le centre où il est placé et erre dix jours dans la rue, où il rencontre des compatriotes qui y vivent dans des conditions misérables depuis plusieurs années. «Pas d’accès à la santé, pas de travail, pas de formation. En Italie, il n’y a pas moyen de faire quelque chose de sa vie», constate-t-il. Il cherche alors à fuir le pays au plus vite. «Je voulais venir en Suisse, parce qu’il y a des organisations qui peuvent nous aider.» Grâce au prêt d’un ami, il prend un billet de train pour Chiasso, où il est arrêté. Il sera déplacé à Bâle puis dans un abri PC à Coppet.
Depuis son arrivée en Suisse, le migrant n’a appelé que deux fois sa famille. «Je n’ose pas leur dire dans quelle situation je suis», souffle-t-il en baissant la tête. En Erythrée, Amar ne rêvait pas d’émigrer, mais de «vivre dans la tranquillité» en subvenant aux besoins des siens. «Les autorités de mon pays ne m’ont pas laissé en paix, j’ai été obligé de partir.» Aujourd’hui, il n’aspire qu’à retrouver en Suisse cette paix perdue. Et rêve de faire des études. «Même si ça doit me prendre la moitié de ma vie», assure-t-il, le regard décidé.