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x-pressed | Le contrôle de l’immigration européenne entre les mains des lobbies

L’«Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne» (FRONTEX) est devenue opérationnelle le 1er mai 2005. Sa création avait été proposée un an plus tôt par le Conseil européen avec comme objectif principal l’amélioration de la gestion des frontières extérieures des Etats membres de l’UE et la coordination opérationnelle entre ces pays.

Article publié dans l’ x-pressed, le 30 janvier 2014. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du journal.

hAu cours des dernières années l’agence a pris une plus grande autonomie et a élargi sa capacité de décision en ce qui concerne le contrôle des frontières. Le budget initial de l’agence était de 6 millions d’euros alors qu’en 2013 elle a reçu plus de 90 millions d’euros pour le financement de ses activités. L’autonomie dont elle jouit lui permet d’user d’un pouvoir propre de décision en ce qui concerne les recherches, les planifications et les opérations qu’elle effectue. Ces opérations sont financées directement par des fonds publics de l’Union européenne et c’est l’agence elle-même qui choisit les fournisseurs et recommande à la Commission européenne et les Etats membres les entreprises appropriées pour élaborer des stratégies de contrôle. Ainsi, FRONTEX agit comme un lien entre les Etats membres et le secteur privé, dédié au secteur de la sécurité.

Le directeur exécutif de Frontex, Ilkka Laitinen, finlandais, ancien corps de garde des frontières, est également membre du conseil consultatif d’un programme de Sécurité et de Défense (SDA), un lobby de grandes entreprises de services de sécurité, comme Eads, Thales ou l’entreprise espagnole Indra. En même temps, ces entreprises font partie de l’Organisation européenne pour la Sécurité (EOS), un lobby composé de plus de 30 entreprises, dont la présidence a récemment été attribuée à Santiago Roura, directeur général d’Indra.

Les SDA et EOS ont organisé une réunion à Bruxelles en 2011. A cette réunion ont assisté, en tant qu’intervenants, des membres de la Commission Européenne, de FRONTEX et des entrepreneurs du secteur de la sécurité. Au cours du forum la question suivante a été posée: un partenariat entre les secteurs public et privé pourrait-il aider à améliorer la sécurité de l’Union européenne?

HAUTE SÉCURITÉ

Le lobby de l’EOS a organisé à Bruxelles en 2012 une table ronde sur la haute sécurité. L’objectif principal de la réunion était de discuter de la façon dont une politique industrielle européenne pour la sécurité pourrait appuyer, avec un succès garanti, la mise en œuvre de la stratégie de sécurité intérieure de l’Union européenne et renforcer la compétitivité de l’industrie européenne de sécurité. Selon l’EOS la réussite de la réunion témoigne non seulement de la volonté de la Commission et du Parlement européens de travailler avec le secteur privé pour la réalisation d’une politique de l’UE pour une société plus sécurisée, mais aussi du soutien du développement d’une industrie européenne plus forte fondée sur le rôle hégémonique de la technologie et la création d’emplois pour la stimulation de la croissance économique.

Parmi les invités éminents, se trouvaient le Commissaire d’Industrie de l’Union Européenne, Antonio Tajani, Italien, et la commissaire des Affaires Intérieures, Cecilia Malmström, Suédoise. En tant que chef des politiques migratoires de l’UE, Malmström a critiqué l’efficacité des lames de la clôture à Melilla (elle a déclaré que leur utilisation, au lieu d’empêcher l’immigration clandestine, pourrait finir par seulement causer des blessures), mais a rassuré qu’elles ne violent pas le droit européen.

L’événement a été suivi par l’actuel directeur de développement de l’agence FRONTEX, Erik Berglund, auteur du rapport «besoins identifiés par FRONTEX». Le rapport, publié en 2008 sur le site de la Commission européenne, fait valoir que les frontières doivent rester ouvertes pour le commerce et la circulation libre des personnes et fermées aux activités criminelles, y compris la soi-disant «immigration clandestine». Le rapport explique aussi brièvement le programme EUROSUR.

PROGRAMMES DE FRONTEX

Lors de la réunion en 2012 le programme d’EUROSUR a été largement discuté, présenté par l’UE le 22 octobre 2013, comme réponse publique à l’épave massive survenue à Lampedusa dix-neuf jours plus tôt. L’annonce de ce nouveau programme a produit des titres comme «l’EUROSUR se met en œuvre pour prévenir les tragédies comme celle de Lampedusa» ou «l’EUROSUR: de nouveaux outils pour sauver la vie des immigrants». Le programme EUROSUR est le nouveau système intégré de contrôle des frontières extérieures de l’UE. Il se compose d’un système de surveillance et d’échange d’informations, conçu pour permettre aux membres du réseau (FRONTEX et les États membres) de partager en temps réel des données liées aux frontières à travers leurs centres nationaux de coordination. L’un des objectifs fondamentaux d’EUROSUR est d’empêcher l’entrée des migrants et des réfugiés dans l’UE à travers un processus d’externalisation des frontières. Ce processus finance des projets de collaboration, tels que le Plan Afrique espagnol, par lequel l’UE a mis en place des systèmes de surveillance sur les côtes de la Mauritanie et du Sénégal et a installé un réseau de centres pour étrangers (CIE) dans les pays d’Afrique du Nord.

A la table ronde sur la haute sécurité a également participé Antonio González Gorostiza, membre de l’EOS et directeur de protection d’infrastructures décisives de l’entreprise Indra. González Gorostiza était le coordinateur du projet Perseus, formé par FRONTEX et par des multinationales comme Indra et Eads. Le programme Perseus, actuellement en phase de démonstration, est un système de surveillance et d’intervention dans la région méditerranéenne pre-frontières, à travers un réseau de systèmes de haute technologie. Entre 2007 et 2013, le programme Perseus avait un budget de 43 millions d’euros pour sa phase de développement. Ce financement est provenu du FP7: le septième programme-cadre pour la Recherche et le Développement de l’UE. Le FP7 est une initiative visant au financement des programmes de recherche et de développement, annoncée comme un investissement pour le développement de l’homme. Les subventions sont accordées à la suite d’un «processus de soumission des propositions et d’évaluation par des experts» et le budget alloué par la Commission européenne provient de fonds publics. Grâce au FP7, l’UE finance des programmes de recherche qui, en réalité, sont des systèmes de contrôle et favorisent les grandes entreprises qui sont responsables de la recherche et du développement.

Le FP7 a financé, entre autres, les programmes globaux de surveillance et d’interopérabilité de la frontière Seabilla, développés par les entreprises Selex, EADS, Thales, TTI Norte et Indra, avec un budget de 15 millions d’euros; le programme Talos, développé par TTI Nord et l’entreprise israélienne Israël Aerospace Industries (IAI), avec un budget de 3,9 millions d’euros et le programme OPERAMAR développé par Thales, Indra et Selex, avec un budget de 669’000 euros. Certains de ces programmes apparaissent comme référence dans le document de travail de la Commission européenne, publié en janvier 2011, sur la détermination de la structure technique et opérationnelle du programme EUROSUR et l’adoption des mesures à prendre pour sa mise en œuvre. Ce document fait référence à Perseus, Talos et OPERAMAR, rassurant que ces projets ont commencé à donner des résultats, qui seront considérés lors de l’élaboration d’EUROSUR. Le ministre de l’Intérieur espagnol Jorge Fernandez Diaz a exposé, au cours d’une présentation publique le 24 septembre 2013 à Madrid, l’arrestation d’un bateau dans le cadre de ces premiers résultats du projet Perseus.

Au cours du forum, organisé par EOS, González Gorostiza a reconnu publiquement l’intention de la Commission européenne de conclure la phase de recherche des programmes Perseus, Talos et OPERAMAR et de poursuivre la phase de mise en œuvre. À la fin de 2013, Thales, Amper, Eads et les entreprises espagnoles Indra et GMW ont signé des contrats avec les ministères d’intérieur de plusieurs pays de l’Union européenne pour le développement du programme EUROSUR. Le programme bénéficiera d’un budget de 244 millions d’euros pour la période 2014-2020.

LE PRÉSIDENT DE CEOE S’ENRICHIT GRACE A LA CLOTURE A MELILLA

Le président de la Confédération Espagnole des Organisations d’Entreprises (CEOE) Joan Rosell a dit dans une déclaration à la chaîne Cope en juillet 2012: «Nous avons ouvert les frontières et, pour un certain nombre d’années, environ un demi-million d’étrangers sont entrés en Espagne chaque année. Il s’agissait d’un problème et aujourd’hui, a posteriori, cela est clair». Ces déclarations ont provoqué des titres de presse comme «L’ouverture du pays aux immigrés au moment où le chômage était de 8% semble problématique» ou «L’immigration a aggravé le problème du chômage».

Joan Rosell préside lui-même le fonds de haut risque Miura Private Equity depuis 2008. Sous sa direction, la société a acquis à la-mi 2009 le 60% de la société de sécurité Proytecsa, responsable de la conception et de l’installation de la clôture en trois dimensions à Melilla et de l’entretien du périmètre de la frontière. Le remodelage de la clôture, réalisée en 2006 par les sociétés Indra et Sallen, a nécessité un investissement de 20 millions d’euros.

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LA SOCIETE FRONTEX COORDONNE DES EXPULSIONS COLLECTIVES

L’UE utilise une technicité bureaucratique pour contourner la Convention Européenne des droits de l’homme concernant les expulsions.

Selon les informations publiées sur le site de la société FRONTEX, le 8 octobre 2013, un avion a décollé d’Espagne à destination de l’Équateur et la Colombie avec des arrêts intermédiaires en Italie et en Bulgarie. Le coût de l’opération était de 310’000 euros. Dans l’avion il y avait des gens sans permis de séjour valable pour l’UE. Ce que Frontex appelle des opérations conjointes de rapatriement est en effet un processus d’expulsions collectives. Quand un pays membre de l’Union européenne décide d’organiser un vol d’expulsion, il informe la société FRONTEX et elle coordonne le vol avec les autres pays participants. L’avion décolle du pays organisateur et s’arrête dans les pays participants, avant d’atterrir dans le pays vers lequel l’expulsion est exécutée.

En cas de refoulement, d’expulsion ou d’extradition, l’article 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE expose un point unique qui stipule: «Les expulsions collectives sont interdites». Le Protocole n° 4 de la Convention européenne des droits de l’homme stipule: «Les expulsions collectives des étrangers sont interdites». Pourtant, le document portant création du Fonds Européen pour le Retour pour la période 2008-2013 justifie la expulsion collective en déclarant: «Ayant à l’esprit que l’expulsion collective est interdite en vertu du Protocole 4 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, seulement les personnes qui font l’objet de mesures d’éloignement individuelles peuvent être rapatriées par des opérations de refoulement conjointes, admissibles au financement en vertu de cette décision». Ainsi, une technicité bureaucratique permet la pratique de l’expulsion de masse en Europe.

Ces vols «de retour conjoint» sont financés par la société Frontex, comme il est publié sur le site de la société. A la fin du texte explicatif pour ce type d’opérations il est annoncé: «Les dépenses couvertes par FRONTEX peuvent varier car d’autres sources de financement peuvent aussi être utilisées pour les vols de retour, comme pour exemple le Fonds Européen de Rapatriement».

LE FONDS EUROPEEN POUR LE RETOUR

Le Fonds Européen Pour Le Retour finance le plan de rapatriement volontaire, encouragé par l’État espagnol comme un plan d’aide économique aux migrants qui souhaitent retourner dans leur pays d’origine volontairement.

En mai 2012, l’Organisation Internationale pour la Migration et la Croix-Rouge, les organisations responsables de l’élaboration d’une partie du Plan de Rapatriement Volontaire, ont annoncé la suspension du programme en raison du manque de ressources et de l’existence d’une liste d’attente constante d’environ 700 personnes.

Dans les rapports d’évaluation économique publiés par le ministère espagnol de l’Intérieur, les dépenses totales pour 2012 ont dépassé les 26 millions d’euros. Au cours de cette année, le gouvernement espagnol a utilisé plus de 3 millions de ce budget pour les frais de séjour des personnes détenues dans des Centres pour les étrangers, 1 million d’euros en coûts de soins de santé des personnes arrêtées dans l’attente du rapatriement, 2 millions d’euros en coûts d’alimentation des fonctionnaires-escortes de la mission lors du processus de refoulement et 11 millions d’euros en frais de voyage et de gestion des vols d’expulsion. Cette même année, le ministère a accordé un contrat d’11 millions d’euros aux entreprises Air Europa et Szift Air pour le «transport aérien des citoyens étrangers et des fonctionnaires à l’intérieur et à l’extérieur du pays».

Selon l’article 6 – relatif aux actions communautaires – de l’acte fondateur du Fonds,, l’un des objectifs du budget est «le soutien, le développement et la mise à jour régulière, en coopération avec l’Agence (FRONTEX), d’un guide commun des meilleures pratiques en matière de rapatriement».

En décembre 2013, l’agence FRONTEX a publié sur son site web le code de bonne conduite pour les opérations de retours conjointes. L’article 6 concernant les mesures coercitives interdit l’utilisation de sédatifs pour faciliter l’expulsion, sauf en cas d’urgence pour assurer la sécurité des vols. Les opérations d’expulsion massive gérées par FRONTEX font partie d’une stratégie visant à réduire les coûts de la procédure d’expulsion et à éviter la résistance des personnes déportées, par l’utilisation de sédatifs et par la présence exclusive sur les vols du personnel de l’avion, du personnel médical, des agents de Frontex, de la police et des expulsés.