Aller au contenu
Documentation

Le Courrier | Trois vols spéciaux par mois au départ de Genève

Depuis octobre, le canton a mis les bouchées doubles en matière de renvois. Stopexclusion et les Verts dénoncent, Bern applaudit.

Article de Pauline Cancela, publié dans Le Courrier, le 24 avril 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

La récente mobilisation autour d’Ayop Aziz, requérant d’asile tchadien, a replacé le curseur sur les renvois. Si l’expulsion de ce jeune blessé des Tattes a été annulée par le Conseil d’Etat genevois début avril, il n’en demeure pas moins que le canton a mis les bouchées doubles sur la question des renvois depuis le mois d’octobre. En 2014, il a organisé près de trois vols spéciaux par mois. Un tournant qui réjouit la Confédération mais que dénoncent Stopexclusion et les Verts genevois.

Travail de priorisation

L’année dernière, tous départs confondus, l’Etat a expulsé 40% d’étrangers en situation irrégulière de plus qu’en 2013. Et depuis janvier 2015, ce phénomène s’accélère encore. Pourquoi? «Nous faisons d’intenses efforts pour être meilleurs», répond Olivier Prevosto, chargé de mission au Département de la sécurité et de l’économie (DSE), revenant sur ses propos diffusés sur les ondes de la RTS.
Ce chef de section à la police judiciaire a été détaché en janvier par le conseiller d’Etat Pierre Maudet pour se consacrer pleinement à la thématique des renvois.

De concert avec le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), le canton a décidé de prioriser davantage les actions de la police et de l’Office cantonal de la population et de la migration. «L’accent est mis depuis octobre sur les cas de délinquants en situation irrégulière, en particulier les trafiquants de drogue en provenance des Balkans et les personnes au passé pénal lourd», explique-t-il. Les cas Dublin sont aussi en ligne de mire, même si l’Etat est pour le moment dans l’incapacité de donner le nombre de cas concernés.

S’il manque encore de statistiques consolidées, le canton se félicite d’avoir renvoyé plus de 1068 personnes en 2014, également pour le compte de cantons tiers. Concernant les «cas genevois», le chargé de mission souligne que les autorités ont effectué 720 départs par voie aérienne, dont 35 par «vol spécial», stade ultime du départ forcé. «C’est un nombre important, mais nous essayons de l’éviter au maximum car cela coûte très cher, en personnel notamment», poursuit M. Prevosto.
Une autre minorité, 56 renvois, a nécessité une escorte policière en vol ‘normal’. Mais la très grande majorité des départs (94%) ont été volontaires et n’ont nécessité qu’un accompagnement de la police jusqu’à l’avion. Deux tiers d’entre eux ont concerné
des personnes ayant commis des infractions pénales, précise-t-il encore. Toutes sont passées par la détention administrative.

Le «zèle» de Pierre Maudet dénoncé

Cette accélération des renvois est mal vue dans les milieux genevois de défense de l’asile, au sein desquels court la rumeur selon laquelle la Confédération aurait accentué la pression sur l’administration genevoise – réputée à Berne pour être un des mauvais élèves en la matière.

Olivier Prevosto s’en défend, mais explique que, «sur demande de M. Maudet, le dialogue avec le SEM s’est intensifié». Le SEM qui, de son côté, «salue» ces résultats et «invite le canton à redoubler d’efforts».

«Quand on voit comment certains vols sont exécutés ailleurs, être ‘un mauvais élève’ devrait être une fierté pour un canton humaniste», réagit Aldo Brina, président de la coordination Stopexclusion. Il relève que Genève utilise le renvoi «de manière plus intensive qu’avant» et adopte des procédures «jamais vues jusqu’ici».

«Pierre Maudet fait de l’ultrazèle au mépris de la tradition humanitaire du canton», abonde Lisa Mazzone, présidente des Verts genevois. La députée promet de demander des comptes à propos de cette «boulimie de renvois et de détention administrative».

Selon eux, l’Etat cherche toujours à se profiler pour devenir le «hub d’expulsion» cher à M. Maudet dans le cadre des discussions sur la restructuration de l’asile au niveau suisse. Cette nouvelle politique de renvois s’inscrit d’ailleurs dans un durcissement général à Genève. Pour mémoire, 168 nouvelles places de détention administratives devraient être construites à la prison de la Brenaz II, et Genève s’est déjà porté volontaire pour accueillir un centre de départ de 250 places.