Le Courrier | Bruxelles exige des quotas
La Commission veut imposer aux Etats membres une clé de répartition des requérants d’asile et des réfugiés. Tollé à Londres et à l’Est.
Article de Tanguy Verhoosel, paru dans Le Courrier, le 15 mai 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.
La Commission européenne a engagé un bras de fer avec les Vingt-Huit, mercredi, en proposant d’instaurer un système de répartition obligatoire des requérants d’asile et des réfugiés au sein de l’Union européenne (UE). Selon elle, il sera nécessaire de renégocier la Convention de Dublin qu’applique également la Suisse.
L’exécutif communautaire a présenté un «Agenda européen en matière de migrations» dont elle a accéléré l’adoption, après les drames qui se sont produits en Méditerranée – 1800 personnes au moins y ont perdu la vie depuis le début de l’année.
Au nom de la solidarité
Bruxelles propose d’aller beaucoup plus loin que les chefs d’Etat des Vingt-Huit. Le 23 avril, ceux-ci s’étaient prononcés en faveur d’un renforcement de leurs opérations navales en Méditerranée, afin de sauver des vies et de détruire les bateaux des passeurs (les ministres des Affaires étrangères de l’UE en débattront lundi), ainsi que de la mise sur pied d’un programme «volontaire» d’accueil en Europe de réfugiés syriens qui se trouvent actuellement en Jordanie, en Turquie ou au Liban. Par ailleurs, ils avaient promis d’examiner des «options» sur la «relocalisation» des requérants d’asile débarquant en masse sur les côtes italiennes, grecques et maltaises dans d’autres pays.
«Nous devons nous montrer beaucoup plus solidaires entre nous», a tempêté le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, en présentant la mesure phare de son programme: la création d’un mécanisme européen de répartition des personnes ayant besoin d’une protection internationale.
Quotas obligatoires
Bruxelles veut déclencher un «mécanisme d’intervention d’urgence», prévu par le Traité de Lisbonne en cas d’afflux massif de migrants, qui contraindra les Etats à se partager «temporairement» le fardeau des requérants d’asile. Une clé de répartition fondée sur différents critères (production nationale de richesse, population, taux de chômage, demandeurs d’asile et réfugiés déjà accueillis) a été établie.
Elle attribue à l’Allemagne, à l’Italie et à la France le principal effort à fournir. Le Royaume-Uni, de son côté, ne serait pas obligé de participer au système. Avec l’Irlande et le Danemark, il bénéficie en effet du droit de ne pas appliquer les décisions européennes dans le domaine de la justice et des affaires intérieures.
D’ici à la fin de l’année, la Commission présentera une proposition législative visant à instaurer un système de quotas obligatoires et «à déclenchement automatique», pour les relocalisations. Parallèlement, l’exécutif communautaire prône le transfert vers l’UE de 20’000 Syriens ayant fui la guerre dans leur pays. Leur réinstallation en Europe serait également soumise à une clé de répartition entre les Etats.
Pour le premier vice-président de la Commission, le Néerlandais Frans Timmermans, il ne fait «aucun doute» que la mise en œuvre de ces propositions et, plus largement, la crise de la migration que traverse actuellement l’UE, contraindront in fine les Européens à «revoir» la Convention de Dublin. Ce texte fixe des critères permettant de déterminer quel Etat est responsable de l’examen d’une demande d’asile. En 2014, plus de 72% des quelque 360’000 requêtes dans l’UE ont été traités par cinq pays seulement: l’Allemagne, la Suède, la France, l’Italie et le Royaume-Uni. Dans un cas sur deux, l’asile a été accordé.
La présidente de la Confédération, Simonetta Sommaruga, a salué mercredi les propositions de la Commission, et annoncé que les Suisses «sont prêts à participer aux efforts», même si la forme que pourrait prendre sa coopération n’est pas encore très claire.
Londres est contre
A l’inverse, le Royaume-Uni (malgré le régime d’exemption dont il bénéficie) et plusieurs pays d’Europe centrale et orientale ont déjà manifesté leur hostilité à l’instauration de quotas obligatoires de répartition des demandeurs d’asile et des réfugiés. C’est «une idée folle», a tonné le premier ministre hongrois, Viktor Orban. Les discussions entre les ministres de l’Intérieur des Vingt-Huit, le 15 juin, puis entre les leaders de l’UE, le 25 juin, s’annoncent donc très difficiles. D’autant plus que parmi les 29 «actions clés» qu’elle propose, la Commission milite également pour l’ouverture de «canaux légaux de migration» économique de travailleurs qualifiés vers l’UE.
Une autre mesure préconisée, en revanche, ne devrait pas être contestée: le renforcement du dispositif européen de renvoi des migrants en situation irrégulière et de ceux dont la demande d’asile a été rejetée.