La majorité sont des réfugiés: on vous l’avait bien dit!
71% des demandes d’asile traitées par la Suisse ont abouti à une protection. Le tableau publié en mars par l’agence Eurostat a fait grand bruit depuis que la Neue Zürcher Zeitung a relayé ce chiffre choc, mi-mai (« Die Schweiz bietet viel Schutz – oft aber nur auf Zeit« , 17.05.2015). Il étonne forcément le grand public dans la mesure où les statistiques du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) proposent une lecture très différente des chiffres, et en particulier un taux de décisions positives de 25%. Mais il conforte celles et ceux qui ont eu entre les mains notre brochure Il y a ce qu’on dit sur les réfugiés. Et il y a la réalité, défendant depuis 2012 le raisonnement suivi aujourd’hui par Eurostat.
Le raisonnement du SEM
Le raisonnement du SEM est le suivant: le taux de reconnaissance est le nombre d’octroi d’asile sur le total des décisions (octroi, rejet et non-entrée en matière). Un calcul a priori logique. Mais il ne reflète pas la réalité des besoins de protection. Et c’est autour de la signification des mots «rejet» et «non-entrée en matière» que notre raisonnement diffère et aboutit peu ou prou au résultat auquel Eurostat est parvenu.
Le raisonnement d’Eurostat
Eurostat a décidé d’écarter du calcul du taux de protection les dossiers pour lesquels la procédure d’asile sera menée par un autre Etat en vertu du Règlement Dublin (1). Normal, car ces transferts signifient que le besoin de protection n’a pas fait l’objet d’une procédure d’asile. Prenons le cas typique d’un Syrien arrivé en Suisse après avoir été enregistré en Italie. Si l’Italie accepte de le reprendre et d’examiner ses motifs d’asile, la décision «positive» ou «négative» sur l’asile devrait uniquement apparaître dans les statistiques italiennes. Or, la Suisse l’inclut dans ses propres décisions négatives – ce sont les NEM Dublin- sans dire que le transfert Dublin pourra également aboutir à une reconnaissance du statut de réfugié ou de protection subsidiaire. Un calcul qui gonfle le taux de décisions négatives de 13% pour la Suisse en 2014 (2). Et qui montre à quel point la Suisse profite du système Dublin (3).
Admissions provisoires
Deuxièmement, Eurostat inclut dans ses décisions positives les «protections subsidiaires», statut octroyé par le droit européen aux personnes ne pouvant être considérées comme réfugiées au sens strict de la Convention de Genève, mais qui courent un risque d’atteintes graves en cas de renvoi dans leur pays d’origine. Par «atteintes graves», ce statut recouvre les risques de peine de mort, de torture et traitement inhumain et dégradant ou de menaces liée à des situations de conflits et de violence généralisée dans le pays d’origine. De cette interdiction de renvoi découle la reconnaissance d’un besoin de protection internationale, que l’on retrouve dans les termes juridiques d’illicéité et d’inexigibilité du renvoi prévus par la législation suisse pour décider de l’octroi d’une «admission provisoire» (art. 83 et 84 LEtr). Protection subsidiaire européenne et admission provisoire suisse sont donc quasiment des sœurs. Mais comme techniquement, l’admission provisoire est prononcée après une décision de rejet d’asile et une décision de renvoi, elle est comptabilisée dans les décisions négatives par la Suisse. Les milieux de l’asile dénoncent depuis des lustres l’admission provisoire comme un «asile au rabais» en raison des droits limités qu’elle confère. Il n’en s’agit pas moins d’une reconnaissance d’un besoin de protection et Eurostat ne s’y est pas trompé, aboutissant au final à 71% d’octroi d’une protection APRES examen des motifs d’asile.
Blocher n’a pas fait mieux!
Chacun a pu interpréter ce chiffre à sa sauce. L’UDC s’est évidemment attaqué à un trop grand «laxisme» de la Suisse, aux «faux réfugiés» et à la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga. Et de prétendre que sous Christoph Blocher, les choses ne se passaient pas ainsi. Ils comptent évidemment sur le fait que personne n’ira compulser les archives statistiques du SEM. Eh bien Vivre Ensemble l’a fait. Et si l’on applique ce raisonnement aux années 2004 à 20074, on arrive à une hausse fulgurante du taux de reconnaissance du besoin de protection sous le règne du leader de l’UDC. De 22,4% à son arrivée en 2004, le taux est passé à 38,5% en 2005, 43% en 2006 et 60,9% en 2007. En étant un peu bêtes et méchants, nous pourrions faire des projections irréalistes comme savent si bien le faire les communiquants UDC, et nous arriverions à des taux de protection vraiment très «attractifs».
Sophie Malka
Notes:
(1) Note de bas de page 2 du communiqué d’Eurostat (ec.europa.eu): « Depuis l’année de référence 2014, des demandes d’asile refusées sur la base du fait qu’un autre État membre de l’UE avait accepté la responsabilité d’examiner ces demandes au titre du règlement (UE) n° 604/2013 («règlement de Dublin») ne sont pas incluses dans les données relatives aux décisions négatives. Aussi le nombre de refus a-t-il été réduit. En conséquence, on estime que la proportion de décisions positives dans le nombre total de décisions rendues en première instance a augmenté de quelque 5 points de pourcentage ».
(2) Eurostat estime que cette nouvelle norme de calcul augmente d’environ 5% le taux d’acceptation des Etats européens. 2014 a été une année exceptionnellement basse pour la Suisse en terme de décisions NEM Dublin: quelque 20% des décisions, contre une moyenne de 40% des décisions totales les années précédentes. La Suisse reste championne des demandes et des transferts Dublin selon Eurostat (voir la carte publiée le 8 juillet par le Bureau d’appui européen en matière d’asile)
(3) Vivre Ensemble sort du calcul toutes les décisions de non-entrée en matière (NEM), qui ne sont pas davantage des examens sur les motifs d’asile.
(4) Le règlement Dublin est entré en force fin 2008. Nous avons écarté les décisions NEM du calcul du besoin de protection.