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Le Courrier | A Renens, des dizaines de migrants s’abritent dans le jardin du Sleep-In

Alors que les centres d’hébergement d’urgence sont saturés, un vaste campement s’est installé aux abords de la structure d’accueil nocturne pour sans-abri.

Article de Mario Togni, publié dans Le Courrier, le 10 juillet 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

«Ce lieu est comme notre maison. On ne nous juge pas et on se sent en sécurité.» Installé sur un matelas à même le sol, sous un toit fait de bâches en plastique, ce ressortissant de Guinée-Bissau raconte être arrivé ici il y a deux semaines, conseillé par une Lausannoise. Ici, c’est le jardin du Sleep-In, à Renens, qui s’est mué depuis quelques mois en campement de fortune. Chaque jour, 60 à 70 migrants, en grande majorité africains, viennent y passer la nuit, et aussi la journée pour certains.

Hier en fin de matinée, ils étaient une vingtaine sur place. Le confort est sommaire, il n’y a pas d’eau courante et seules deux toilettes mobiles sont disponibles. Les occupants se rendent au Point d’Eau, à Lausanne, pour se doucher et faire des lessives. Une fontaine non loin permet de s’approvisionner en eau potable. Même précaire, cette ­solution est préférée à la rue. «Quand nous sommes dehors, la police nous harcèle, on nous traite comme des dealers», poursuit notre interlocuteur.

Lieux d’accueil saturés

sleep-inL’association du Sleep-In gère ici une maison sur un terrain appartenant à la ville de Lausanne. La structure est ouverte la nuit et dispose de 24 places d’hébergement d’urgence, dont sept sont disponibles sans passer par la centrale de réservation du Service social lausannois. «Tous les lieux d’accueil sont saturés et cela fait plusieurs années que des gens campent dans le jardin, par défaut», relève Violaine Freléchox, membre de l’association.

Rien qu’au Sleep-In, ce sont 15 à 20 personnes qui restent sur le pas de porte chaque soir. «Beaucoup de sans-abri ne cherchent même plus à réserver une place et s’installent d’emblée dans le jardin», ajoute Marcin de Morsier, aussi membre de l’équipe. Jusqu’à cette année, les responsables incitaient les «campeurs» à ne pas rester. Mais ce printemps, des dizaines de migrants sont arrivés d’un coup, après la fermeture des abris PC du dispositif hivernal. «Ils n’ont aucun autre lieu où aller, nous avons décidé de tolérer cette situation et de la gérer au mieux», explique Violaine Freléchox.

Des nuits en gris-vert

Au sein du campement, c’est le système D. Des abris ont été construits récemment, avec l’aide de bénévoles. Mais la plupart des «campeurs» dorment à la belle étoile, dans les sacs de couchage de l’armée fournis par l’Equipe mobile d’urgences sociales (Emus). De nombreuses nationalités se côtoient. On croise des Gambiens, des Sénégalais, des Nigérians, des Maliens, mais aussi quelques ressortissants d’Europe de l’Est. La plupart sont des hommes, aux statuts très divers: déboutés de l’asile, «cas» Dublin, sans-papiers, etc.

Dans ce melting-pot, une organisation s’est petit à petit mise en place. Des représentants désignés rencontrent chaque semaine les responsables du Sleep-In pour faire le point de la situation. «La qualité du dialo­gue est excellente et la cohabitation se passe très bien, y compris avec nos usagers habituels», se réjouit Marcin de Morsier.

La semaine passée, les occupants du jardin ont aussi rédigé une sorte de manifeste, avec l’aide de l’association Franc-Parler, qui organise depuis peu des ateliers de français. «Qui sommes-nous? Nous sommes des migrants de différents pays, nous avons fui la pauvreté, la violence, une vie sans avenir. Nous som­mes venus en Suisse dans l’espoir de trouver la paix, une vie meilleure et du travail. Nous nous sentons abandonnés. Nous avons besoin d’aide», peut-on y lire.

Affairé au nettoyage du site, un jeune Nigérian nous répète le message, avec insistance: «La Suisse doit prendre soin des migrants, la plupart d’entre nous veulent travailler. Je suis passé par l’Italie et la France, sans trouver de boulot. Je suis venu ici, en Suisse, avec l’espoir d’un avenir meilleur.»

Bisbille avec la Ville de Lausanne

Le campement du Sleep-In n’est pas du goût des autorités lausannoises, qui subventionnent l’association avec le mandat d’héberger, de nuit uniquement, des personnes dans le besoin. Dans la presse, le chef du Service social Michel Cornut et le municipal de la cohésion sociale Oscar Tosato ont réagi plutôt froidement, répétant que le Sleep-In n’avait pas pour mandat d’accueillir des gens dans son jardin. Hier, ni l’un ni l’autre n’ont pu être joints.

Dans un communiqué, le Sleep-In répond n’avoir «en aucun cas ni voulu ni organisé une telle situation. Elle est l’expression de problèmes structurels concernant l’hébergement d’urgence et plus largement le reflet du contexte migratoire actuel». Les responsables de la structure estiment par ailleurs poursuivre pleinement leur mission d’accueil à l’intérieur des murs.

Sous pression, l’association est pour l’heure dans l’expectative. Une rencontre doit avoir lieu la semaine prochaine avec les municipalités de Lausanne et de Renens. «Espérons que cette situation soit l’occasion de réfléchir à mettre en place des solutions humaines, souligne Marcin de Morsier. Si au contraire cette affaire aboutit à virer les gens, à les relâcher dans la nature et à désigner des responsables, ce sera un échec cuisant.»