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Documentation

Passeurs d’hospitalité | Vous vous appelez Arrosoir Zzifictif

Hôpital de Calais. Les exilé-e-s qui s’y présentent ne peuvent souvent pas justifier de leur identité. Il serait possibilité de fonctionner sur du déclaratif, les personnes donnent un nom, réel et fictif, et le personnel leur explique que les fichiers de l’hôpital ne sont pas connectés aux services de police, que la confidentialité est assurée, et qu’elles ont intérêt à donner le même nom aux différents services auxquels elles peuvent avoir affaire, pour permettre un suivi médical.

Billet publié sur le blog Passeurs d’hospitalité, le 26 juin 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le blog.

Au lieu de ça, c’est l’ordinateur qui donne une « identité » à la personne, en lui attribuant un «prénom» tiré d’une liste de noms communs, et comme nom de famille Zzfictif. On devient ainsi Arrosoir X. Monsieur ou Mme Arrosoir Zzfictif. Comme une nouvelle « identité » est générée à chaque visite, aucun suivi de la personne n’est possible. Ainsi, un exilé a été hospitalisé pour des problèmes cardiaques, puis s’est rendu plusieurs fois aux urgences pour la même maladie. Il est mort le 9 décembre 2013, faute d’avoir reçu le traitement approprié. Le système n’a pas été remis en cause pour autant.

Cette dépersonnalisation laisse d’autres traces.

Tout récemment, un femme chute d’un camion. Suite au choc, elle accouche à l’hôpital d’un petit Samir. Le bébé, très prématuré (22 semaines), meurt. La maman de vient «Introuvable». C’est-à-dire qu’elle est sortie de l’hôpital, puisqu’elle n’avait plus rien à y faire. Elle n’avait pas besoin d’aide, de soutien, après la mort de son enfant?

Plus classique, un-e exilé-e arrive aux urgences en soirée, ressort au milieu de la nuit. Se retrouve devant l’hôpital, une jambe plâtrée, et à la main un bon pour retirer le lendemain des béquilles aux heures ouvrables. Pour rentrer au bidonville, une personne valide met une heure et demie à pied, le long de l’autoroute. Alors bien sûr, quelqu’un d’ici, une personne de la famille viendra le prendre en voiture, il pourra faire appel à une ambulance privée, ou prendre un taxi, pour rentrer dans sa maison. Mais quelqu’un d’ailleurs…

Le 7 mai 2014, un exilé meurt sur l’autoroute, percuté par un véhicule. Selon la presse: «Les deux passagers de la voiture qui a heurté la victime étaient en  état de choc au moment du drame. Ils ont été pris en charge par une  cellule psychologique du centre hospitalier de Boulogne. Les deux clandestins qui accompagnaient la jeune victime ont été  auditionnés par les enquêteurs afin d’obtenir plus d’éléments.» Le chauffeur et son passager sont pris en charge psychologiquement, ce qui est normal. Les deux exilés qui viennent de voir leur camarade mourir sont interrogés par la police. Même scénario avec l’étrange accident du 22 juillet 2015: le chauffeur du véhicule est pris en charge psychologiquement, les trois victimes ne sont soignées que physiquement. Ça semble une évidence, il y a des gens qui ont un psychisme, et d’autres pas.

Cette dépersonnalisation gagne parfois les pratiques associatives, lorsqu’on n’y prend pas garde.

Juillet 2015. Une ONG humanitaire distribue de l’aide alimentaire. Pour cela, elle distribue des tickets, avec lesquelles les bénéficiaires viennent retirer leur colis. Pour éviter la fraude au ticket, les personnes qui viennent retirer leur colis reçoivent une marque rouge sur le bras. Les bénéficiaires sont des fraudeurs potentiels, pour éviter la fraude on les marque, pour manger il faut accepter d’être marqué. Ceux et celles qui refusent d’être marqué-e-s ne reçoivent pas l’aide.

Juillet 2014. Une ONG humanitaire aménage des «douches» dans la grande cour du squat Galou. Ce ne sont pas de vraies douches, avec des tuyaux et un jet d’eau qui vient par le haut, ce sont des cabines dans lesquelles il y a un grand récipient d’eau pour se laver. Grands récipients pratiques et pas chers, des poubelles en plastique. En Grèce, on apprend que l’Europe c’est manger dans les poubelles. En France, c’est se laver dans des poubelles. Les premiers utilisateurs ne s’y sont pas trompé, ils chiaient dedans – usage bien adapté au signifiant «poubelle».

Les dispositifs mis en place doivent-ils être indifférents à ce qu’ils disent aux gens? Ces gens-là n’ont-ils pas le droit non plus à l’estime de soi?