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Documentation

Renversé | Genève: La police tabasse et enferme les migrants en lutte

En soutien à No Bunkers, Mohamed et tous les autres

Le site Renversé a publié le récit issu du témoignage de Mohamed concernant les violences policières auxquelles il a survécu le 19 juillet 2015. Il joigne des photos de ses blessures ainsi qu’un certificat médical.

Billet publié sur le site Renversé, le 5 août 2015. Cliquez ici pour lire le billet sur le site Renversé.

Mohamed est un membre du collectif d’occupation du Grütli; il fait partie des migrants qui ont investi le bâtiment des arts le 15 juin 2015 pour protester contre leurs transferts forcés dans les bunkers.

Mohamed se trouve aujourd’hui en détention administrative à la Favra et sous la menace d’un renvoi forcé imminent. Il est en grève de la faim et de la soif depuis le lundi 27 juillet.

Le dimanche 19 juillet au matin, Mohamed sort d’un café aux Pâquis. Il est 9h00 lorsqu’il traverse le passage piéton. Un homme inconnu l’attrape par le poignet et l’accuse du vol de son sac ; n’ayant pas de téléphone, l’inconnu demande à des passants d’appeler la police. Mohamed, surpris, innocent et confiant lui propose d’utiliser son téléphone. L’inconnu appelle alors les forces de l’ordre avec le téléphone de Mohamed. Les policiers arrivent, demandent ses papiers à Mohamed, qui leur montre son «papier blanc» (le document officiel des requérant.e.s d’asile frappé.e.s par la décision de Non-Entrée en Matière ou d’une décision négative quant à leur demande d’asile). Les policiers prétendent alors ne pas connaître ce moyen d’identification pourtant utilisé par plusieurs centaines de personnes sur Genève… Nombre de témoignages fournis par des requérant.e.s d’asile débouté.e.s ou NEM, logé.e .s aux Tattes et dans les abris PCi par l’Hospice Général, font état de confrontations quasi-quotidienne aux policiers genevois qui affirment régulièrement de ne pas connaître ce papier. La police a-t-elle vraiment si mauvaise mémoire?

Mohamed est alors menotté, chargé dans un véhicule puis emmené dans un commissariat dont-il ne connaît pas la localisation. Embarqué sans aucune preuve pour un crime qu’il n’a pas commis, Mohamed demande que des témoins du café soient convoqués pour attester de son innocence. La police refuse. Mohamed est enfermé dans une cellule où il reste menotté. Malgré ses demandes, Mohamed ne sera jamais autorisé, alors que c’est son droit, à prévenir son avocate et un.e proche de sa situation. Après quelques instants, trois ou quatre policiers rentrent dans la cellule de Mohamed et commencent à l’insulter; «sale voleur», «rentre chez toi». Quelques minutes plus tard, les mêmes policiers font à nouveau irruption dans la cellule et cette fois-ci agressent Mohamed, toujours menotté. Ils le plaquent au sol et le rouent de nombreux coups de poing et de pieds au niveau des membres supérieurs, des jambes, des épaules, du thorax et de la tête. En sortant il lui lancent, en référence au vol qu’il n’a pas commis, et à la somme disparue: «Ca va, c’est pas trop cher payé pour 3000CHF!» . Mohamed perd connaissance pour une durée qu’il ne peut pas mesurer ; lorsqu’il se réveille, il souffre de nausées et de troubles de la vision. Blessé, apeuré et révolté par ces évènements, Mohamed demande de manière répétée à voir un médecin. La police, les agresseurs comme leur relève, ignore cette demande comme elle ignorera également dans les heures qui suivent, de lui porter de l’eau, à manger. Mohamed reste dans la cellule. Couvert de bleus. Menotté.

Aux alentours de 16h, Mohamed est emmené par d’autres policiers, devant le procureur où il est dé-menotté pour la première fois depuis 9h du matin. Il est entendu sans son avocate ; la police ayant refusé pendant la journée sa demande de l’appeler. Le procureur ignore le récit de Mohamed quant aux violences policières extrêmement graves qu’il vient de subir et condamne Mohamed à un mois de prison pour «Infraction à la Loi sur les Etrangers». Mohamed proteste en disant qu’il avait été emmené au poste pour «vol» et non pour son statut d’étranger; le procureur, bien qu’admettant son innocence quant au vol, le fait taire. Mohamed est jeté à la rue gravement blessé. Il s’aperçoit alors que la police ne lui a pas rendu son abonnement de bus et a effacé tous les numéros de son téléphone portable.

Une fois de plus, la police est tyrannique, elle enfreint les lois qu’elle est censée défendre, et se tire sans encombre des tous ses crimes commis contre Mohamed, qu’elle traite comme un dangereux personnage que l’on doit garder menotté, en cellule, derrière une porte d’acier, qui a pourtant donné son propre téléphone pour appeler la police. Faut-il rappeler que les symptômes décrits par Mohamed que sont la perte de connaissance, suivie de nausée et de troubles de la vue, peuvent être ceux d’une commotion cérébrale pouvant entraîner la mort?

[caption id="attachment_24280" align="alignright" width="300"]Les blessures de Mohamed Les blessures de Mohamed[/caption]

Mohamed appellera ensuite «Genève-médecins». C’est finalement aux alentours de minuit, après six heures d’attente, qu’un médecin de «SOS-médecins» vient, pour ensuite se carapater sans lui apporter aucun soins quand il apprendra que c’est la police qui est l’auteure des coups. Grâce à des amis, des photos de ses blessures seront conservées (v. ci-contre). Le lendemain, Mohamed va à l’Hôpital où ses nombreuses lésions sont médicalement constatées et où il reçoit un certificat médical (v. ci-dessous). Celui-ci atteste d’une incapacité de travail de 100% pendant trois jours; ses lésions sont jugées «compatibles avec son récit».

[caption id="attachment_24281" align="aligncenter" width="541"]Constat médical Constat médical[/caption]

Cette histoire n’a pas pu être publiée plus tôt, car, quand Mohamed était encore en liberté, publiciser de telles violences envers sa personne, persécutée en permanence par la police et l’administration, aurait été trop risqué. Aujourd’hui, Mohamed est enfermé et l’Etat suisse est déterminé à le renvoyer quitte à organiser un Vol Spécial; mesure la plus humiliante, dégoûtante et inhumaine conçue par l’Etat suisse et ses polices.

Si nous racontons ici ce cas précis, nous ne souhaitons pas condamner uniquement les quelques fonctionnaires cruels qui ont tabassé, à quatre, une personne menottée dans une cellule de garde-à-vue. Nous savons que ces pratiques sont monnaie courante dans la police genevoise. Nous savons que la police vole, tabasse, trafique, fouille sans autorisation, abuse de son pouvoir tous les jours et que ses cibles fétiches sont les personnes les plus démunies. Ces abus de pouvoirs sont systématiques et les cibles fétiches sont les personnes les plus démunies. Malin, les flics, de s’en prendre aux moins entendus, ceux dont personne ne se soucie à priori et dont les témoignages sont toujours considérés comme faux. Les requérants d’asile déboutés, qui à chaque contrôle de police peuvent être condamnés à plusieurs mois de prison ferme pour Infraction à la loi sur les étrangers uniquement pour une situation administrative irrégulière, sont des cibles particulièrement faciles. Le déséquilibre gigantesque de pouvoir entre la police, l’administration, les autorités suisses et une personne migrante déboutée est pervers. La facilité avec laquelle un procureur peut prononcer l’emprisonnement d’une personne sous couvert d’une situation administrative irrégulière est dégueulasse.

Si nous devons parler et débattre de crimes et d’injustices, des policiers qui persécutent et tabassent et des juges qui emprisonnent et cautionnent les renvois forcés. La violence d’Etat envers les personnes migrantes a des fonctions: celle de la dissuasion de venir en Suisse, celle de faire taire ceux qui y restent, contraints aux sales boulots que les suisses refusent de faire, celle de la mise au pli des personnes qui perturbent « l’ordre public » et qui ne peuvent être expulsés. Elle s’infiltre dans toutes les facettes de la vie des SDF, sans papiers, requérants d’asile et marginalisés en tout genre. Elle est organisée et légalisée par les institutions. Au bout de la chaîne de l’horreur étatique, dans la fange des voitures banalisées et des couloirs pourris des geôles, on trouve les dépositaires des pouvoirs les plus hideux, les hommes de mains cruels, les serviteurs perfides dont on absout les crimes en détournant les yeux.

Mohamed doit être libéré. Tous les autres aussi.

GRP – Groupe pour la Révocation des Privilèges