Invitation à utiliser le terme « irrégulier » au lieu de « illégal »
Le Comptoir des médias est intervenu auprès de la rédaction (et de la rédaction web) à propos de l’article « Trois fois plus d’immigrés illégaux en un an« , paru sur le site du 20 Minutes, le 4 mars 2015. L’intervention du Comptoir a porté plus précisément sur l’utilisation du terme « illégal ».
Les arguments de notre intervention du 4 avril 2015:
Le terme « illégal » renvoie aux notions de «crime» et de «police». Lors d’une conférence tenue à Genève le 22 janvier 2014, François Crépeau, Rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l’homme des migrants, a insisté sur le fait que si l’irrégularité correspond à la violation d’une règle juridique, il s’agit en l’espèce pour les migrants ou réfugiés « de passer la frontière sans les documents requis »; une violation d’un droit administratif du même ordre qu’un parcage hors d’une zone bleue (http://asile.ch/2014/01/20/conference-les-droits-souvent-oublies-des-migrants-francois-crepeau/).
Ces termes n’ont rien de neutre. D’une part, leur usage courant passe sous silence les circonstances et raisons multiples et complexes de la migration. Ainsi du fait que de nombreux réfugiés quittent leur pays de manière soudaine et se voient donc obliger de voyager sans les documents requis, « illégalement »: la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 stipule d’ailleurs que « les Etats Contractants n’appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés » (v. texte de la convention). D’autre part, cette rhétorique fait oublier que parmi les personnes qui traversent la frontière de manière irrégulière, bon nombre sont des réfugiés (en Suisse, en 2014, 76,6% des personnes dont le dossier d’asile a été examiné ont obtenu une forme de protection internationale, permis B ou F).
Je vous rappelle également que l’article 2 du Protocole 4 de la Convention européenne des droits de l’homme stipule que toute personne a le droit de quitter son pays, y compris le sien. Le droit de quitter un pays, que ce soit celui d’origine ou de résidence, est un prérequis nécessaire permettant de bénéficier d’un certain nombre d’autres droits humains, notamment celui de recevoir une protection internationale contre la torture ou un traitement dégradant ou inhumain (v. « Le droit de quitter un pays« ).
Vivre Ensemble milite pour que les discours politiques et médiatiques soient dénués de préjugés. Ainsi, nous, comme beaucoup d’autres associations, luttons pour que le terme « illégal » soit banni de la terminologie et que soit utilisé à sa place le terme « irrégulier« , comme William Lacy Swing, directeur général de l’Organisation Internationale des Migrations, l’a défendu sur les ondes de la RTS (Mise au point du 5 octobre 2014): « C’est une distinction très importante parce que les gens qui viennent de façon irrégulière, sans papiers, sans visas, ne sont pas des criminels. Ils sont des êtres humains comme nous, qui ont besoin au moins d’être interviewés ».
Comme vous le savez, les mots possèdent une connotation: ils évoquent des images, des sensations. Dans l’imaginaire occidental, le mot « illégal » renvoie au fait de vivre hors-la-loi. L’amalgame ou le glissement est vite fait de « illégal » et « criminalité ». Or, la très grande majorité des personnes traversant la Méditerranée le font car ils fuient des guerres et des persécutions (aujourd’hui, une majorité est syrienne) et ils ont dès lors le droit de demander une protection au pays d’accueil. Ils ne sont donc pas dans l’illégalité, bien au contraire.
Des associations et médias anglophones se sont penchés sur la question et ont banni l’utilisation du mot « illégal ». Pour information, je vous mets ici quelques liens sur la question:
- « Undocumented, not illegal: New campaign advocates for accurate terminology in all EU languages« ;
- Dans le document, élaboré par PICUM, on admet les termes « sans-papiers » et « migrant irrégulier » pour le français.
- « Human Rights Watch Guidelines for Describing Migrants« .
Nous vous invitons donc à modifier, dans votre version électronique, le terme “illégal” par “irrégulier”.
Nous n’avons reçu aucune réponse à notre message et aucune modification terminologique n’a été apportée à l’article qui apparaît encore tel quel sur le site du 20 Minutes.