Migros Magazine | Adolescents et migrants
Les requérants d’asile mineurs non accompagnés (RMNA) sont de plus en plus nombreux à arriver en Suisse. Loin de leur famille, après parfois des mois d’errance, ces jeunes tentent de trouver leur place dans ce vaste monde.
Article de Pierre Léderrey, publié dans Migros Magazine n°44, publié le 26 octobre. Cliquez ici pour lire l’article sur le site de Migros Magazine.
«Leur nombre a doublé en quelques semaines. Et les solutions trouvées il y a un mois paraissent déjà à peine suffisantes.» Evi Kassimidis, porte-parole de l’Etablissement vaudois d’accueil (EVAM), n’est pas la seule à être sous pression. Comme partout en Suisse, la très forte vague migratoire déferlant sur l’Europe pose d’insondables problèmes de places. Débordé, le Centre fédéral de Vallorbe se voit contraint de travailler avec des hôtels de toute la région. Des solutions d’urgence se multiplient, comme à Renens où l’EVAM vient de mobiliser un grand abri de protection civile.
Au sein de cette population fragilisée, les requérants mineurs le sont davantage encore. Ils ont traversé le pire, arrivent sans rien et surtout sans leurs parents. Des enfants ou des adolescents déboussolés que l’administration appelle requérants d’asile mineurs non accompagnés (RMNA).
Au niveau suisse, il y a eu 244 nouvelles entrées de RMNA en août, six fois plus qu’au début de l’année. 1233 entrées entre janvier et août 2015, contre 794 en 2014 et 337 en 2013. Une population aux trois quarts masculine.
Certains pensent que ce nombre est sous-estimé, car des mineurs seraient considérés comme majeurs faute de pouvoir démontrer leur âge. D’autres insistent sur le fait que certains se présentent comme plus jeunes qu’en réalité, histoire de bénéficier de conditions d’accueil plus favorables.
Quoi qu’il en soit, on comprend l’ampleur du problème pour les cantons qui doivent se charger de leur prise en charge selon des clés de répartition tenant compte du nombre d’habitants. La Suisse a ratifié en 1997 la Convention internationale des droits de l’enfant. Ce qui l’oblige à leur accorder protection, soin et encadrement. Leur prise en charge demande donc des mesures particulières dont la possibilité de les scolariser, un placement loin des adultes avec un encadrement éducatif adapté. Genève leur réserve une aile dans son centre de Saconnex. Il est archi-plein avec cent dix mineurs aujourd’hui contre quarante au printemps encore.
Même situation dans le canton de Vaud: «A peine ouvert, le foyer du Chasseron affiche complet», reconnaît Evi Kassimidis. Ainsi qu’en Valais où le centre le Rados accueille quarante-deux internes et onze externes logés dans des studios tout autour du foyer. «La semaine prochaine, nous aurons trois nouveaux arrivants et nous serons au maximum de nos capacités», explique Aline Berthod, responsable du foyer.
Malgré la charge de travail toujours plus élevée, la jeune femme de 32 ans et son équipe font tout pour encadrer le mieux possible les jeunes. «Certains jeunes arrivent ici après des mois d’errance et nous voulons les entourer au mieux.» Pour cela, un accent particulier est mis sur l’apprentissage de la langue et la formation «grâce à une volonté politique qui nous en donne les moyens», commente la Valaisanne.
Dans la même logique, l’équipe éducative du Rados peut suivre le RMNA jusqu’à la fin de sa formation, et non seulement jusqu’à sa majorité. Partout s’exprime cependant la crainte que ces jeunes en détresse soient parmi les premières victimes de cette importante pression migratoire.
«J’espère pouvoir commencer un apprentissage»
A 17 ans, Abdulali a déjà bien bourlingué. D’abord de Kaboul, où il est né, jusqu’en Iran avec ses parents et deux de ses trois frères. «Le dernier est resté en Afghanistan, c’était trop dur pour lui de quitter notre pays.» Son père, menuisier, se blesse gravement au dos et n’a plus de salaire. Avec sa silhouette solide, Abdulali veut aider sa famille. «Je suis parti en Turquie pour travailler comme soudeur. On était plusieurs jeunes et c’était pénible, surtout sans parler la langue», explique le jeune homme avec un sourire triste.
Arrivé le 7 décembre dernier, il bénéficie d’un seul permis F. Autrement dit d’une autorisation de séjour provisoire qui durera jusqu’à sa majorité. Ou se prolongera, s’il a de la chance et parvient à s’intégrer. En quelques mois, Abdulali parle déjà plutôt correctement le français. Et c’est dans cette langue qu’il poursuit son récit. «Là-bas, en Turquie, un copain m’a dit qu’en Europe de l’Ouest ce serait plus facile de gagner de l’argent. La Suisse? Je ne savais même pas que ce pays existait. C’est lorsque je suis arrivé en Autriche avec un ami qu’il m’a parlé de Zurich. J’ai tenté ma chance, seul, et suis arrivé à Vallorbe.»
Quinze jours «très difficiles» dans le centre d’enregistrement fédéral plein à craquer. Ici aussi, le foyer du Chablais de l’EVAM déborde. «Mais ça va, sourit encore Abdulali. Les gens sont gentils et je me suis fait plein d’amis de ma génération. Notamment un Erythréen et un autre Afghan avec lesquels je vais aux cours de français.» L’avenir? Abdulali aurait voulu être menuisier comme son père. «Peut-être que je pourrai commencer un apprentissage l’année prochaine?»
«Je prends un jour après l’autre»
Qu’ils soient réfugiés non accompagnés ou mineurs non accompagnés entrés illégalement en Suisse, de nombreux jeunes Africains partagent la même histoire que Jade. «Au Congo, je vivais dans un village avec mes parents et mes trois frères et sœurs. Je suis la plus grande. Mon père est resté, mais nous sommes partis avec ma mère en Angola pour essayer d’avoir une vie un peu meilleure. C’était en janvier. Comme ma mère connaissait quelqu’un en France, ma mère m’a dit que j’irais là-bas. Mais je n’ai passé que quelques mois à Paris. Comme j’étais illégale, elle ne me laissait même pas sortir de son appartement.»
Jade sourit. Elle regarde par la fenêtre. Pas la vue, offrant pourtant un joli dégagement sur le lac Léman. «Oui, on m’a dit qu’ici à Lausanne les gens payaient cher pour voir ça. Mais moi j’adore les chaussures et j’ai mis sur le rebord mes cinq ou six paires. Cela les aère et je peux les voir facilement.» Jade éclate de rire. Elle a une chambre seule. Privilège rare. «Avant il y avait une autre fille, mais on se prenait trop la tête.»
Jade montre son permis N. Cela signifie que l’examen de sa demande d’asile est toujours en cours. «Je suis arrivée en Suisse le 12 avril. Une de mes tantes habite déjà ici, dans la campagne vaudoise. Je ne l’avais jamais vue avant, mais maintenant on apprend à se connaître. C’est elle qui a fait la demande d’asile pour moi. Et rapidement, on m’a envoyée ici au foyer.» Où les choses se passent «plutôt bien quand je suis d’humeur rigolote. Il ne faut juste pas trop que je réfléchisse. Je n’ai notamment plus trop de nouvelles de ma famille. Ça me soûle.» Jade sait bien aussi que sa situation administrative n’est pas définie. Que l’avenir est en forme de gros point d’interrogation.
«Mais je fais la part des choses. Certains sont dans ce foyer depuis deux ans. On m’a dit que des jeunes y sont restés même quatre ans. Alors je prends un jour après l’autre. Et quand ça ne va pas trop, je mange des biscuits, même si je sais que je dois faire attention à ma ligne», dit-elle en riant une fois encore.
«J’aimerais que ma famille me rejoigne»
«Je voulais changer de vie. Chez moi, ce n’est pas bien», murmure en anglais. Sa silhouette longiligne se tortille un peu. Du haut de ses 15 ans, il semble un peu perdu. Trop de monde peut-être, dans cet ancien squat en attente de démolition et transformé dans l’urgence comme foyer pour requérants mineurs non accompagnés par l’EVAM. «Les derniers adultes ne sont partis que depuis quelques jours et nous sommes archi-pleins», confirme Evi Kassimidis, porte-parole de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants.
[caption id="attachment_26948" align="alignright" width="300"] Yumis a quitté sa Somalie natale pour venir faire sa vie en Suisse.[/caption]Les parents de Yumis et ses sept frères et sœurs sont toujours en Somalie. «Moi je voulais vraiment partir. En Suisse, parce que j’en avais un peu entendu parler. Ne pas donner trop de détails. Sur son pénible périple non plus, d’ailleurs. «Je suis passé entre autres par l’Italie où je suis resté un peu. Et je suis arrivé à Vallorbe le 1er août», précise-t-il seulement. Un signe, peut-être.
Apprendre un métier? Oui, sûrement, mais il ne sait pas encore très bien quoi. «Je sais juste que je veux faire ma vie ici. Et que j’aimerais que ma famille vienne aussi me rejoindre.» Il a un peu de temps pour y penser. Comme beaucoup de RMNA, il est inscrit à Lausanne auprès de l’Organisme pour le perfectionnement scolaire (OPTI). Reste que dans cette structure aussi, les places libres sont rares.