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IRIN | Prisonniers de la peur d’Ebola

Combien de temps faut-il pour qu’un pays rouvre ses frontières avec un pays voisin où la fin d’une épidémie mortelle et contagieuse a été déclarée?

Article publié sur le site d’IRIN, le 17 novembre 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le site d’IRIN.

C’est une question pertinente pour les quelque 38’000 Ivoiriens qui ont fui les violences politiques de 2010 en se réfugiant au Liberia et qui ne peuvent maintenant plus rentrer chez eux, car leur propre gouvernement craint une résurgence du virus Ebola. La fin de l’épidémie au Liberia a pourtant été déclarée le 3 septembre, il y a près de deux mois et demi.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), aucun délai n’est nécessaire. Si l’organisation préconise un dépistage aux frontières, elle n’a recommandé aucune fermeture proprement dite, même au plus fort de l’épidémie d’Ebola.

Les fermetures de frontières ont un impact social et économique négatif, surtout pour les commerçants, et rien ne prouve qu’elles soient plus efficaces que les mesures de dépistage.

Quant aux autorités libériennes, leur réponse est polie, mais ferme: la Côte d’Ivoire doit rouvrir ses frontières immédiatement.

«Les réfugiés sont impatients de rentrer», a dit à IRIN Edward Kemokai, porte-parole de la Commission libérienne pour le rapatriement et la réinstallation des réfugiés.

Impasse

La fin de l’épidémie au Liberia avait été déclarée une première fois le 9 mai, mais de nouveaux cas étaient survenus fin juin. D’où la crainte d’une troisième apparition de la maladie.

En mars, les deux gouvernements et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) s’étaient mis d’accord pour reprendre les rapatriements volontaires, mais alors que la frontière était sur le point de rouvrir, de nouveaux cas d’Ebola ont été confirmés au Liberia et le programme a été interrompu.

«Il faut que le processus de rapatriement commence, maintenant qu’Ebola a disparu», a dit M. Kemokai. «Tout ce qu’il manque maintenant, c’est que l’État ivoirien rouvre la frontière pour permettre à ses ressortissants de rentrer.»

«Nous attendons la venue d’une équipe d’évaluation de Côte d’Ivoire pour observer la situation sur le terrain», a-t-il ajouté.

Les réfugiés ont en effet hâte de rentrer.

Mitta Kieta, mère de six enfants âgée de 45 ans vivant dans une tente du camp de réfugiés de Bahn (comté de Nimba), a fui la Côte d’Ivoire il y a près de cinq ans, à la suite des violences postélectorales de 2010. Pendant de nombreuses années, elle avait trop peur pour rentrer chez elle. Puis, en 2014, alors qu’elle venait de décider qu’il n’était plus trop dangereux pour elle de rentrer dans son pays, l’épidémie d’Ebola s’est déclarée et les frontières ont été fermées.

«Toute ma famille est en Côte d’Ivoire», a dit Mme Kieta. «[Elle] me manque […] Je veux rentrer maintenant. J’espère que la frontière va pouvoir rouvrir […] J’en ai assez d’être ici.»

L’histoire de Sellie Musa, ancien chauffeur de taxi devenu menuisier qui s’est réfugié au Liberia en 2010, est similaire.

«Au début, je ne suis pas rentré parce que je n’étais pas sûr que les choses allaient bien en Côte d’Ivoire», a-t-il dit à IRIN. «Mais maintenant, j’attends mon rapatriement. Je ne suis pas rentré parce que la frontière est toujours fermée.»

Outre celui de Bahn, il existe deux autres camps de réfugiés, à Grand Gedeh et à Little Wlebo.

Selon Diana Diaz, qui aide au programme de rapatriement volontaire pour le HCR, 12’000 réfugiés ivoiriens ont pu rentrer chez eux début 2014.

«Cependant, en raison de l’épidémie d’Ebola, les frontières ont été fermées et les rapatriements volontaires ont été suspendus jusqu’à nouvel ordre.»

Et qu’en pense le gouvernement ivoirien? Sa réponse se veut rassurante, mais reste vague.

«Nous n’avons pas oublié le rapatriement des réfugiés du Liberia», a dit à IRIN un porte-parole du Service d’aide et d’assistance aux réfugiés et apatrides du ministère des Affaires étrangères.

«Il n’y a pas de raison de s’inquiéter», a insisté le porte-parole. «Le retour des réfugiés va bientôt reprendre», a-t-il ajouté, sans préciser quand ni comment.

En attendant…

Le HCR dit continuer à offrir des services et une formation professionnelle aux Ivoiriens réfugiés au Liberia.

«Nous ignorons quand la frontière rouvrira», a dit Mme Diaz. «Alors, pour l’instant, nous concentrons nos efforts sur l’offre ou l’amélioration des moyens de subsistance pour qu’ils puissent acquérir des compétences et reprendre leur vie en main dès que possible, qu’ils restent ici ou qu’ils retournent en Côte d’Ivoire.»

Le HCR apporte ainsi des services de santé, d’éducation, d’eau et d’assainissement et promeut des solutions durables pour les réfugiés telles que l’enseignement primaire et secondaire pour les enfants. Les communautés d’accueil ont aussi mis des terres à disposition des réfugiés qui souhaitaient mener une activité agricole.

Pour beaucoup, cela n’est cependant pas suffisant.

Selon le HCR, au moins 8 000 réfugiés ivoiriens ont clairement fait savoir qu’ils souhaitaient rentrer chez eux.

«Je veux rentrer et jouer au football», a dit Laminee Tureh, jeune homme de 20 ans considéré comme une étoile montante du football par nombre de ses compatriotes du camp. «Je veux jouer pour mon équipe nationale […] Je veux rentrer dans mon pays d’origine.»

Musu Kieta, elle aussi réfugiée ivoirienne, a dit qu’elle espérait que la frontière rouvre au plus tôt.

«J’ai hâte de rentrer chez moi», a-t-elle dit. «J’ai passé trop d’années au Liberia. Le gouvernement ivoirien doit rouvrir la frontière pour que le rapatriement puisse commencer. Nous sommes ivoiriens et nous devons rentrer dans notre pays. Nous n’avons pas d’autre pays que la Côte d’Ivoire.»