Le Matin | L’enjeu majeur des requérants mineurs
Le nombre de mineurs arrivant sans famille explose. En Suisse, la manière de déterminer leur âge fait débat.
Article de Cléa Favre, publié dans Le Matin, le 8 octobre 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Matin.
Les cantons rêvent de pousser les murs. Ils sont confrontés depuis plusieurs mois à une forte augmentation du nombre de requérants d’asile mineurs non accompagnés (RMNA). En août, la Suisse comptabilisait 244 nouvelles entrées, contre 37 en janvier. Genève a atteint le maximum de ses capacités, avec 125 mineurs sans famille, hébergés dans une aile qui leur est réservée à Saconnex. Même situation dans le canton de Vaud qui a dû très rapidement doubler le nombre de places pour les mineurs. Il a ainsi transformé en août une structure pour adultes (le foyer de Chasseron) en un lieu destiné aux moins de 18 ans. Néanmoins, à l’heure actuelle, les jeunes sont déjà un peu plus nombreux que les 100 places prévues.
Pas d’abris PCi pour les mineurs
Et de nouvelles arrivées vont continuer à intervenir ces prochaines semaines. «La situation est extrêmement difficile dans tous les cantons. Tous les jours, on est obligé de chercher des solutions. Je suis absolument incapable de vous dire comment nous allons faire pour héberger des mineurs non accompagnés dans trois semaines», reconnaît Erich Dürst, directeur de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM).
En réalité, cette hausse pourrait être sous-estimée. «Des requérants mineurs non accompagnés sont considérés comme des adultes par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) et sont par conséquent logés sous terre dans des abris PCi», affirme Aldo Brina, chargé d’information sur l’asile au Centre social protestant. La détermination de l’âge est en effet un enjeu capital dans la procédure. Un mineur reconnu sera traité différemment: il aura droit à un représentant légal, on attendra moins de précisions dans son récit, il sera souvent hébergé dans une structure spécifique. Surtout, il ne pourra pas être renvoyé dans le cadre d’une procédure Dublin: c’est le lieu où il se trouve qui fera foi et non le premier pays européen par lequel il est entré.
Comment l’âge est-il déterminé? Le cas des enfants ne pose pas de problème. C’est la tranche 15-18 ans qui est délicate. En l’absence de documents d’identité jugés fiables, la preuve de la minorité incombe au requérant. Le SEM se base essentiellement sur les éléments apportés, ainsi que sur les allégations de la personne. Selon la Commission suisse de recours en matière d’asile, «si cette preuve ne peut être apportée ou si l’âge de la personne intéressée ne peut être déterminé, elle sera considérée comme majeure». Un climat de suspicion, alors que les acteurs de terrain constatent plutôt que, par manque d’informations, certains mineurs se disent majeurs.
Pour Aldo Brina, la procédure est critiquable, puisqu’elle attend d’un mineur un comportement d’adulte, en lui demandant de prouver lui-même sa minorité. «Ces jeunes sont aussi particulièrement matures, compte tenu des épreuves qu’ils ont traversées. Le SEM tient insuffisamment compte de ce biais, notamment parce que les considérer comme majeurs permet à l’autorité une procédure moins précautionneuse et facilite un éventuel renvoi.» Il estime que, parfois, le SEM traîne des pieds jusqu’à leur majorité pour donner une réponse, alors qu’il devrait théoriquement traiter leur demande en priorité.
L’édito: Les requérants mineurs ont droit à une part d’enfance
Dans notre tête à nous, assis dans notre salon, au chaud, en Suisse, il n’est pas concevable qu’un adolescent de 15 ans se retrouve complètement seul à l’étranger, dans le brouhaha d’une langue qu’il ne comprend pas, pris dans les méandres d’une administration dont il ignore tout. Il n’est pas imaginable de le laisser avaler des centaines de kilomètres à pied, avec pour seule compagnie la faim et la peur. Intolérable qu’il encoure le risque d’une mauvaise rencontre, d’une agression, d’un racket ou d’une exploitation quelconque.
C’est pourtant le lot de ceux que le jargon du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) nomme les «requérants d’asile mineurs non accompagnés». Ils viennent d’Erythrée, de Syrie, d’Afghanistan, de Somalie, de Guinée. Certains ont perdu leurs parents. La plupart savent ce qu’est la guerre. Ils ont grandi sur les chemins qui traversent la Libye et la Méditerranée. La nécessité a guidé leurs pas vers l’Europe, avec cette illusion encore: que ce continent les traitera bien.
Depuis quelques mois, ils sont de plus en plus nombreux à se présenter aux portes de la Suisse. Entre janvier et août, le nombre d’arrivées a été multiplié par six. Bien heureusement, ils ne sont pas considérés comme des requérants d’asile comme les autres et ont droit à une protection supplémentaire. Seulement, les pratiques du SEM en la matière mériteraient encore davantage d’humanité.
Mais le vrai risque dans l’immédiat tient aux conditions d’accueil et d’encadrement. Des moyens supplémentaires sont indispensables face à cette situation exceptionnelle. Il serait insupportable de voir des jeunes finir dans des abris PCi faute de moyens. Laissons-leur leurs dernières illusions?
Cléa Favre, Journaliste