Droit au logement | On a oublié que ce sont des humains
Le nº 222 de décembre 2015 du journal de l’ASLOCA, Droit au logement, a interviewé Nicole Andreetta, aumônière à l’AGORA: «La loi sur l’asile n’a fait que créer des catégories de migrants et a oublié que ce sont des humains». Son témoignage, que vous pouvez lire ci-dessous, accompagne un large extrait du décryptage thématique sur l’hébergement que Vivre Ensemble a publié en février 2015 (VE 151) dans le cadre du projet Comptoir des médias: Hébergement | Médias et public trompés par la rhétorique de la hausse des demandes d’asile.
Cliquez ici pour lire le dossier sur l’hébergement publié dans le n°222 du journal Droit au logement.
Notre enquête s’inquiétait des conséquences du discours des autorités sur les personnes concernées et de la capacité de la population suisse à dépasser les peurs d' »invasion » faussement agitées depuis des mois par les politiques et responsables de structures cantonales. Ceci alors qu’il était évident que la crise internationale, notamment en Syrie, n’était pas proche d’une résolution et qu’il faudrait bien se donner les moyens de recevoir correctement les réfugiés. Dans leur intérêt, mais aussi dans celui de la société d’accueil. Oû en sommes-nous aujourd’hui?
Le manque d’anticipation des autorités fédérales et cantonales depuis 2008 et la mollesse dans la recherche de solutions d’hébergement pour les demandeurs d’asile se font d’autant plus cruellement sentir que 2015 connaît une recrudescence des demandes de protection, qui devraient atteindre les 34000 requêtes à la fin de l’année.
Depuis la publication de cette enquête, de nombreux abris de protection civile ont encore été ouverts en Suisse romande, malgré l’opposition grandissante des personnes concernées. La visibilité politique donnée à cette réalité par les habitants eux-mêmes, relayés par les associations de terrain et la société civile, conjuguée à l’émotion suscitée par la réalité humaine de la crise migratoire en septembre 2015, a conduit à de nombreux mouvements de solidarité d’habitants aux abords de ces structures.
Conclusion actualisée publiée dans Droit au logement
Retrouvez l’enquête complète sur notre site: Hébergement | Médias et public trompés par la rhétorique de la hausse des demandes d’asile
Cliquez ici pour lire l’article « Requérants d’asile: Médias et public trompés par la rhétorique de la hausse des demandes » sur le site de l’ASLOCA.
Nicole Andreetta: «La loi sur l’asile n’a fait que créer des catégories de migrants et a oublié que ce sont des humains»
«Ce qui m’émerveille, c’est cet élan d’intérêt et de sympathie que je remarque depuis quelque temps en faveur des requérants d’asile dans notre pays. Nous avons régulièrement des demandes de stages de la part de jeunes qui veulent se rendre utiles ou de civilistes. Et, à Versoix et Chêne-Bourg, les habitants ont commencé à se mobiliser pour les requérants de leur quartier, en leur cherchant notamment un lieu où ils peuvent cuisiner eux-mêmes. Je me sens portée de plus en plus par ce genre d’actions, constate Nicole Andreetta, aumônière depuis onze ans à l’Agora, l’aumônerie genevoise oecuménique auprès des requérants d’asile et des réfugiés, qui occupe des locaux au Centre de requérants d’asile des Tattes à Vernier (GE). Quelle autre personne pouvait être plus indiquée pour raconter le quotidien de ces migrants à la recherche chez nous d’une terre d’asile. Pas évident.
«Mes deux grands-pères sont venus en Suisse en tant que travailleurs émigrés de l’entre-deux-guerre. Ils ont obtenu la nationalité suisse bien avant les initiatives Schwarzenbach. Un de mes grands-pères est devenu adjoint du maire de Plan-les- Ouates, l’autre a fondé un club de foot et jouait dans une troupe de théâtre. Le thème de la migration m’a toujours interpellée. Mon mari est d’ailleurs né en Italie avant de s’installer en Suisse.» Le travail de Nicole Andreetta auprès des requérants d’asile lui donne un bon point d’observation de la situation actuelle.
«Depuis vingt ans, la loi sur l’asile n’a fait que créer des catégories et des sous-catégories de migrants en oubliant que ce sont des humains. Il y a les NEM pour non-entrée en matière, puis les NEM-Dublin, et maintenant on parle de N-Dublin ce qui signifie dans le langage administratif ‘suspecté d’être un NEM-Dublin’. Comme si le fait d’être dans la procédure Dublin signifiait que l’on n’a pas besoin de protection. Ce n’est pas correct, ces personnes ne sont tout simplement pas dans le pays qui va pouvoir traiter leur demande d’asile. Ce langage n’est pas évident à comprendre et donne l’impression que seuls quelques élus vont pouvoir obtenir le statut de réfugiés. Cette manière de faire crée des règlements supplémentaires, des directives. Par exemple, le soutien apporté par les assistants sociaux devient très limité pour les personnes déboutées de l’asile. Ils n’ont pas les moyens de faire grand-chose pour ces personnes-là, ils ne peuvent pas s’en occuper. Alors des familles entières se retrouvent livrées à elles-mêmes sans plus de repères.
«Durant des mois, des années, coincées dans un espace administratif, ces familles attendent d’obtenir une autorisation de travail ou au moins une régularisation. A cause de la crise du logement, les célibataires sont logés dans des abris de la protection civile. Si leur séjour se prolonge au-delà de deux ou trois mois, ces lieux sans fenêtres deviennent néfastes pour ces jeunes hommes, qui n’ont plus la force de se projeter dans l’avenir. Bien sûr, ils sont nourris et logés, mais, dans ce contexte- là, ce n’est pas suffisant car cette forme de logement sous terre accentue leur sentiment d’exclusion. On parle depuis un certain temps de cet immeuble de containers à la Praille. Il y a des progrès, sans doute que les locaux seront bien construits, mais comment la vie va-t-elle s’organiser? Il semble que ces lieux seront réservés aux mineurs non accompagnés, mais y aura-t-il assez de travailleurs sociaux pour leur expliquer les procédures et comment on vit dans ce genre de communautés forcées? Y aura-t-il assez de douches, de toilettes, d’espaces pour se rencontrer? Je connais un foyer où vit une soixantaines d’hommes. Ils sont entassés dans des dortoirs et le réfectoire ne peut en accueillir qu’une vingtaine. Vous imaginez la cohue.
«Encore une fois, le logement des requérants est important mais les conditions dans lesquelles ils vivent le sont tout autant. Ces personnes-là ont besoin d’une attention particulière, d’une présence bienveillante. Dans notre travail au quotidien, nous essayons de créer des liens par une présence amicale et bienveillante. Par exemple, tous les mardis matin je me rends à l’association Partage pour prendre des couches que je vais ensuite distribuer aux mamans des enfants en bas âge. Les requérants déboutés n’ont souvent plus la notion des jours qui passent. Seuls leurs enfants qui sont scolarisés leur donnent un rythme. Ils ont surtout cette impression de ne pas valoir grand-chose.»