Valais | La deuxième génération bataille pour l’égalité de droits
ADMIS « PROVISOIRES » DÈS LA NAISSANCE
En Valais, les jeunes détenteurs de permis F depuis leur naissance ou leur petite enfance revendiquent une place à part entière. Le Grand Conseil leur a ouvert une petite porte en novembre, contre l’avis du Conseil d’Etat, en laissant la possibilité d’obtenir des allocations d’études et de poursuivre leur formation. Mais les députés leur ont refusé l’accès à la naturalisation. Dans la bataille pour obtenir plus de droits, Shaza, 22 ans. Elle explique dans le bulletin du CSI Valais pourquoi elle s’est engagée politiquement pour cette cause, alors qu’elle-même vient d’obtenir un permis B. «Citoyenne avant l’heure», une interview signée Madeline Heninger.
Shaza, vingt-deux ans, est en dernière année de l’ECG à Sion, option «social». Soudanaise d’origine, elle est arrivée en Suisse peu après sa naissance et elle vit à Sion avec ses parents et son frère d’un an son cadet. Titulaires, jusqu’à cet été, d’un permis F, admission provisoire.
Shaza, ta famille a vécu pendant plus de vingt ans avec un permis F. Quelles en étaient les conséquences pour toi?
Ça n’a pas posé de problèmes pour mes études car notre permis portait la mention «qualité réfugié» et j’ai eu droit à une bourse. Mais ça en aurait posé si j’avais été intéressée par un apprentissage. Un patron hésite à s’engager dans ce cas. J’ai eu des difficultés au moment de trouver un job d’étudiante, à dix-neuf ans. L’entreprise qui voulait m’engager a dû obtenir l’accord du canton, ce qui a pris du temps. Puis je n’ai pas pu ouvrir un compte bancaire avec ma carte d’identité pour le versement de mon salaire. C’était choquant. J’ai plusieurs fois vu un visage se fermer en voyant mon livret de séjour, comme si celui-ci donnait de moi une image négative. J’ai également renoncé à un voyage d’études à Londres, devant tous les obstacles à franchir pour obtenir un visa et vu le temps que ça prenait.
Récemment, tu t’es rendue devant le bâtiment du Grand Conseil pour sensibiliser les député-e-s à la situation des jeunes avec permis F. Pourquoi?
J’ai voulu m’engager parce que je connais plusieurs jeunes de mon âge confrontés à ce problème. J’ai voulu le faire par solidarité avec eux, parce qu’ils sont dans une situation proche de la mienne: nous sommes nés ici ou arrivés tout petits, mais on a un permis F. Au début, entre nous, on évitait le sujet. Mais maintenant qu’on a grandi et qu’on comprend, on a envie de connaître nos droits. On demande à être traités comme les autres jeunes, comme les «gens normaux».
En novembre, le parlement cantonal a accepté le postulat concernant les bourses d’études et refusé celui qui aurait permis de déposer une requête de naturalisation. Ta réaction?
Je n’ai pas pu être présente car j’avais des examens ce jour-là. Mais j’étais en lien avec mon amie qui assistait au vote. Concernant les bourses, c’est un bon commencement qui va permettre à des jeunes de poursuivre leurs études, car j’en connais qui ont dû abandonner leur formation pour travailler. Concernant le refus d’une naturalisation, je suis déçue. Dans mon expérience, je sais qu’on peut avoir un permis F et être bien intégré, vivre comme tout le monde, avec des «pensées suisses» et ne même pas avoir d’images du pays d’origine. C’est comme si ton pays te rejette, ça fait mal, on se sent mis à part, infériorisé.
Que retiens-tu de cette expérience de «militance» pour vos droits?
Si c’était à refaire, je recommencerais. Alors que dans ma famille, nous avons enfin obtenu un permis B en septembre dernier, je serais prête à faire entendre ma voix pour les autres, parce que je suis passée par là. Je connais les sentiments qu’ils ont: l’envie d’avoir des droits dans un pays qu’on considère comme le sien. On ne demande pas la lune, mais d’être respectés, d’avoir le sentiment d’être traités à l’égal des autres. Je n’ai pas plus de pouvoir, mais je me sens renforcée. Je vis dans une famille très soudée et à travers les expériences que mes parents ont vécues au Soudan puis en Suisse, ils m’ont appris à ne pas baisser les bras. Je sais que mon père est fier de mon engagement, ça me donne davantage de confiance: je veux me battre pour nos droits et avancer.
Madeline Heninger
Centre suisse immigrés
Les entraves posées par la loi valaisanne aux jeunes de la deuxième génération, nés en Suisse ou arrivés avant l’âge de la scolarité obligatoire, détenteurs de permis F, sont combattues de longue date par les associations de terrain. Accès limité aux allocations de formation, manque de perspective en terme d’emploi et/ou d’apprentissage, assignation au canton d’attribution même durant leurs études universitaires… Des parlementaires valaisans s’en sont finalement émus et ont déposé fin 2014 deux postulats. Après traitement par le Conseil d’Etat, ils ont été soumis au vote du Parlement cantonal en novembre 2015: Le Centre suisse immigrés (CSI) soutient les migrants dans leurs démarches juridiques et sociales, propose des prestations d’intégration – cours de français, accompagnement mère-enfant, etc.. Il fonctionne grâce au bénévolat et aux dons. Envie de vous engager? www.csivs.ch AVANCÉES POLITIQUES | HÂTE-TOI LENTEMENT…
Cet article a été publié dans le cadre du dossier de notre numéro 156 sur l’admission provisoire et le permis F, qui comprend également les articles suivants: