FMR | Recherche et sauvetage en Méditerranée centrale
Même si les personnes sont conscientes des risques des traversées en mer, rien ne peut vraiment les préparer à les vivre.
Article de Hernan del Valle, Rabia Ben Ali et Will Turner, publié dans la Revue Migrations Forcées, dans le numéro 51 de janvier 2016. Cliquez ici pour lire l’article sur le site de la revue.
Rien qu’au cours de l’année 2015, 140’000 personnes ont entrepris le voyage périlleux connu sous le nom de route de la Méditerranée centrale, qui couvre l’étendue de mer entre la Libye et la Sicile. Beaucoup d’entre elles avaient écrit le numéro de téléphone de proches restés dans leur pays d’origine sur leurs habits, leur avant-bras ou leur gilet de sauvetage au cas où le bateau ferait naufrage et que leur corps soit retrouvé.
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Entre mai et septembre 2015, dans cette zone de la Méditerranée uniquement, les bateaux de Médecins Sans Frontières (MSF) ont secouru et porté assistance à plus de 16’000 personnes provenant de 20 pays différents. John, Grace, Ahmed et Amira étaient parmi eux.
Depuis longue date, MSF déploie des programmes dans la plupart des pays dont les personnes fuient et est souvent le témoin direct des conditions que décrivent par les personnes pour expliquer les raisons qui les forcent à fuir de chez elles. Alors que la plupart du débat public européen s’articule autour de la distinction entre les «réfugiés» et les «migrants économiques», cette distinction est particulièrement difficile à établir dans la réalité. Quels que soit leur histoire ou leur lieu d’origine, tous sont animés par la même motivation: l’espoir d’un avenir plus sûr et plus prospère. Les motivations citées par les personnes sont nombreuses et multidimensionnelles, allant des conflits, de l’oppression et des persécutions politiques à la pauvreté omniprésente et écrasante. Ces raisons se superposent souvent et sont suffisamment puissantes pour pousser les personnes à mettre leur vie en jeu en suivant des itinéraires dirigés par des réseaux criminels de passeurs.
Les histoires qui nous sont rapportées par les personnes venues de Syrie, d’Afghanistan, d’Érythrée, de Somalie, du Yémen, du Soudan, d’Irak et du Pakistan décrivent le besoin de fuir la violence, les conflits armés, les persécutions, des régimes oppressifs, la peur de l’enrôlement forcé ou l’emprisonnement arbitraire. On trouve également un grand nombre de personnes venues de pays d’Afrique subsaharienne et occidentale, tels que le Nigeria ou le Mali, qui, après avoir migré en Libye, fuient aujourd’hui ce pays en raison du harcèlement, des attaques violentes, des viols, du travail forcé, des détentions et des enlèvements contre rançon par les groupes armés ou encore les passeurs.
La traversée en bateau
Même si les personnes sont conscientes des risques de la traversée en bateau, rien ne peut les préparer à vivre cette expérience. Transportées par camions jusqu’à la côte libyenne, elles sont ensuite chargées sur des bateaux au milieu de la nuit, parfois à bout portant. Les embarcations sont systématiquement surchargées pour optimiser les bénéfices des passeurs, dépassant souvent jusqu’à dix fois leur capacité réelle. La plupart des passagers n’ont pas de gilet de sauvetage et ne savent pas nager. Les personnes entassées sous le pont ne réalisent pas toujours que l’embarcation est si dangereusement surpeuplée avant que la lumière du jour n’apparaisse. C’est alors que la précarité de leur situation devient évidente, et que la peur et la panique s’installent.
Une fois à bord, les personnes doivent affronter plusieurs risques. La menace immédiate et la plus mortelle est de chavirer. Une grande vague transversale ou un mouvement de personnes peut provoquer le retournement soudain d’une embarcation si surpeuplée et, inévitablement, des noyades en masse en quelques minutes. Lorsque les personnes sont entassées sous le pont, elles sont exposées aux gaz d’échappement du moteur; des cas de décès par asphyxie ont déjà été recensés. La majorité des décès, dont 2800 se sont produits depuis le début de l’année 2015 en Méditerranée centrale, sont liés à ces facteurs.
Les bateaux de MSF travaillent en coordination avec le Centre de coordination de sauvetage en mer à Rome pour porter secours et assistance aux personnes. Les rescapés souffrent souvent d’épuisement, de déshydratation légère ou modérée, de douleurs générales, d’infections, de brûlures chimiques car leurs vêtements ont été contaminés par le carburant, de la gale et de blessures mineures. Ces blessures sont généralement liées aux violences subies en Libye; il peut s’agir de blessures par balle ou de lacérations ou encore d’os fracturés. La plupart de ces blessures ont eu lieu plusieurs semaines auparavant mais elles peuvent de nouveau infligées, ce qui implique un traitement plus urgent, si bien que de nombreuses personnes doivent être orientées vers des installations médicales en Italie. On trouve toujours des femmes et des enfants, des femmes enceintes et des mineurs non accompagnés qui entreprennent seuls ces trajets incroyablement dangereux. Nous tentons de leur fournir des soins et un soutien personnalisés, de même qu’aux victimes de violences sexuelles.
La détresse psychologique qui a gagné ces personnes au cours de cette période de temps est une problématique commune. Émotionnellement, elle sont passées par de véritables montagnes russes, après avoir quitté leur maison et leur famille et s’être rendues par voie terrestre jusqu’en Libye, où elles ont connu les mauvais traitements et la tourmente, été exposées aux gangs de passeurs et été déplacées comme des animaux de foire. Lorsque ces personnes arrivent en lieu sûr à bord des bateaux de sauvetage, le soulagement se transforme souvent en débordement d’émotions. Il arrive que certaines personnes soient totalement bouleversées. Notre première priorité est de veiller à ce que les besoins essentiels de ces personnes soient satisfaits: eau, alimentation, soins médicaux, vêtements secs et propos rassurants, confirmant qu’elles sont en sécurité et qu’elles seront emmenées vers un port italien.
De quoi avons-nous besoin?
Dans de nombreux pays européens, le discours politique s’est centré sur le renforcement de politiques pourtant connues pour exacerber la crise, plutôt que sur l’assistance aux personnes et les mesures de prévention pour éviter qu’elles ne s’exposent à autant de souffrances et de risques. Concernant la Méditerranée centrale, la réponse porte uniquement sur les symptômes (cibler les réseaux de passeurs et leurs embarcations) et non pas sur la suppression des restrictions imposées à l’asile et à la migration, alors que ce sont ces restrictions qui mettent les personnes entre les mains des passeurs. Des solutions alternatives sûres et légales ont été proposées [1] pour les personnes prenant la fuite pour rechercher la sûreté et la protection, de même que des régimes migratoires plus progressifs. En attendant, une approche proactive et préventive de la recherche et du sauvetage en mer reste essentielle. Plus les personnes seront exposées longtemps aux horribles conditions à bord, plus leur santé se détériorera précocement, et plus le risque de décès en mer sera élevé.
*Les noms des personnes mentionnées dans cet article ont été modifiés
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