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VisionsCarto.net | Barrières frontalières et hotspots dans le Sud-Est de l’Europe

En 1995, six ans à peine après la chute du mur de Berlin, l’Europe a commencé à ériger de nouveaux murs. À l’époque, il s’agissait d’entourer l’enclave espagnole de Ceuta au Maroc d’une barrière, censée la protéger contre une «arrivée massive de migrants». Depuis, et très progressivement, sur tout le pourtour de l’espace Schengen, territoire clé de l’Europe en termes de gestion et de contrôle des flux migratoires, de nouvelles barrières frontalières sont apparues. Auxquelles se sont ajoutés depuis quelques mois des «hotspots», centres d’enregistrement et d’identification des migrants, que le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés a dénoncé comme des «centres de détention». Le premier a ouvert ses portes en septembre 2015 à Lampedusa. Ce fût ensuite celui de Trapani en décembre 2015, de Pozzallo dans le courant du premier trimestre 2016 et enfin de Tarente en mars 2016.

Article de Stéphane Rosière, publié sur VisionsCarto.net, le 21 juin 2016. Cliquez ici pour lire l’article sur le site VisionsCarto.net.

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Cet «encastellement» contemporain — pour reprendre l’expression de l’historien Pierre Toubert pour désigner la fortification de l’habitat dans la région de Rome au Moyen-Âge — s’est poursuivi en 2007 par la construction d’une barrière en Slovaquie, juste avant que ce pays n’adhère à l’espace Schengen. Cette barrière reste méconnue — elle n’apparaît quasiment jamais sur les cartes. Dénuée de grillages, elle est essentiellement constituée d’une «chaîne» de caméras infrarouges et de capteurs. Une clôture qui, pour être virtuelle, remplit toutefois les mêmes fonctions que les barrières «en dur»: empêcher le passage des migrants.

[caption id="attachment_34174" align="aligncenter" width="1024"]Le module de la barrière frontalière couché (à gauche) et une tour de contrôle (à droite). Photo: Alberto Campi Le module de la barrière frontalière couché (à gauche) et une tour de contrôle (à droite). Photo: Alberto Campi[/caption]

Depuis, de nombreuses autres barrières ont été construites, sur la «route des Balkans», en Grèce et en Bulgarie. La Grèce, alors en pleine crise financière, a érigé une clôture sur la partie terrestre de sa frontière avec la Turquie en décembre 2012 (une douzaine de kilomètres de long sur le segment de sa frontière qui n’est pas située sur le fleuve Evros — lequel fait ailleurs office de «barrière naturelle»).

Le «mur grec» ayant eu pour effet de renvoyer vers la Bulgarie les flux originaires de Turquie, Sofia a commencé a ériger une clôture sur sa frontière avec la Turquie en janvier 2014. Le mur bulgare serait long de 30 km et haut de 3 m, fortifié par des barbelés rasoirs. Il a été construit entre le point de passage frontalier de Lesovo et le village de Golyam Dervent. La Bulgarie a annoncé l’extension de son « mur » en 2016.

[caption id="attachment_34175" align="aligncenter" width="1024"]Le « mur » à la frontière turco-bulgare près de Lesovo. Photo: Alberto Campi, 2014 Le « mur » à la frontière turco-bulgare près de Lesovo. Photo: Alberto Campi, 2014[/caption]

En 2015, alors que l’Europe voyait un grand nombre de réfugiés arriver via la Grèce et la Turquie, la Hongrie a décidé de fermer sa frontière avec la Serbie par une clôture, doublée de barbelés en juin. Cet ouvrage a été achevé au mois d’août 2015. Il a été complété par une barrière sur la partie terrestre de la frontière avec la Croatie (sur les 41 km de frontière non fixée sur la Drave ou la Mur qui, là aussi, font office de barrières naturelles) et quelques kilomètres avec la Roumanie (du sud de Szeged au tripoint Hongrie/Roumanie/Serbie jusqu’à la rivière Maros). Ces constructions ont été renforcées juridiquement, le 15 septembre 2015, par le vote de lois permettant la fermeture des frontières aux migrants. L’immigration dite « clandestine » est devenue un délit en Hongrie.

L’Autriche a annoncé, le 13 novembre 2015, la construction d’une clôture sur une section de sa frontière avec la Slovénie, une première au sein de l’espace Schengen. Constituée d’un « grillage simple » d’une hauteur de 2,2 mètres, cette clôture court sur une longueur totale de 7,4 km — 3,7 km de part et d’autre du poste-frontière de Spielfeld (la distance a été exagérée sur la carte pour être visible), par où transitent la majorité des migrants. Une autre barrière, relativement courte, permet de renforcer les contrôles au col du Brenner.

Ces décisions autrichienne et hongroise — des pays particulièrement symboliques quand on se rappelle leur rôle déterminant dans l’ouverture du «rideau de fer» en 1989 — ont entrainé des réactions en chaîne en Slovénie, Croatie, Serbie et Macédoine. Slovénie et Macédoine ont érigé des barrières.

En Slovénie, une douzaine de kilomètres ont ainsi été «sécurisés» dès le mois de novembre 2015 (sur les 80 km envisagés au total par Ljubljana). La «barriérisation» de l’ensemble est prévue, mais pas encore réalisée.

En novembre 2015, La Macédoine a commencé à construire une barrière sur une partie de sa frontière avec la Grèce, laquelle s’étendait sur 30 km au début de l’année 2016, mais la fermeture de l’ensemble de la frontière a gréco-macédonienne a été annoncée par Skopje en mars 2016 (The Daily Mail, 6 mars 2016).

La Serbie a annoncé qu’elle non plus ne laisserait plus passer les migrants venant de Bulgarie et Macédoine. Effet d’entrainement, la Lituanie, ainsi que l’Estonie ont décidé en décembre 2015 de construire une barrière le long de leurs frontières avec la Russie.

La «barriérisation» intégrale de la frontière extérieure de Schengen est en marche. Mais les barrières s’étagent en deçà et au-delà de cette limite. Toute l’ironie de cette histoire, c’est le grand retour des «frontières naturelles», concept depuis longtemps moqué par les géographes contemporains. Pour les réfugiés, cette notion est pourtant bien concrète: Les cours d’eau sont de vraies barrières naturelles qui évitent souvent aux États de construire des clôtures quand elles servent de justification au tracé des frontières (par exemple, la Hongrie sur la Drave ou la Grèce sur l’Evros). Ces obstacles permettent peut-être de réduire sensiblement les circulations migratoires, mais ils ne les empêchent pas: ils rendent les itinéraires migratoires infiniment plus dangereux, soit parce que les migrants empruntent des routes détournées, plus longues et plus risquées, soit parce qu’ils tentent coûte que coûte de les franchir, y compris en passant par les barrières dites naturelles, et pensées comme infranchissables par les États.

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