Le Courrier | Arrêté au Service vaudois de la population et expulsé
Un père de famille togolais a été l’un des derniers requérants à être interpellé dans les bureaux de l’administration. Un cas qui risque de se reproduire si l’interdiction de cette pratique est levée.
Article de Juliette Müller, publié dans Le Courrier le 24 février 2017. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.
«Je n’oublierai jamais ces visages. Ils m’ont dit: ‘Monsieur, votre situation n’est plus possible’.» Alors qu’il se rendait un jour de 2007 au Service de la population du canton de Vaud (SPOP) avec sa femme et ses deux filles de 4 et 2 ans pour renouveler son aide d’urgence, Komlan (prénom d’emprunt) est arrêté et renvoyé au Togo quelques jours plus tard par vol spécial, entravé et attaché à son siège. Deux mois après, le Grand Conseil votait de justesse une disposition interdisant les arrestations au SPOP. Celle-là même qui est aujourd’hui remise en question. Ce père de famille, revenu depuis en Suisse et ayant obtenu sa naturalisation, a ainsi été un des derniers requérants à avoir été expulsés alors qu’ils se rendaient dans les bureaux de l’administration. Un sort que pourraient connaître d’autres demandeurs d’asile si l’interdiction de les interpeller au SPOP était levée.
«Voir mes filles pleurer alors qu’ils m’emmenaient en voiture a, sans aucun doute, été le pire jour de ma vie», se souvient-il, ému.
Pour Komlan, tranquillement assis dans son coquet salon bien vaudois, l’évocation de ce passé est douloureuse. «Chacun doit faire son travail, mais quant on est face à des être humains, il faut réfléchir à deux fois», juge-t-il avec le recul, repensant à ceux qui l’ont renvoyé. Même s’il est aujourd’hui devenu Suisse, et qu’il «adore ce pays», l’expérience est encore trop fraîche pour qu’il se sente le courage d’en témoigner à visage découvert. Mais il souligne sa volonté de parler «pour que les gens sachent ce qui se passe vraiment».
«On a tout perdu»
Pour lui, tout a commencé en 2002, avec une première demande d’asile en Suisse. Bien vite, son amie le rejoint, ils se marient et leur première fille naît. Tous deux trouvent du travail et sont indépendants financièrement. «On était parfaitement intégrés, on vivait tranquillement et j’étais confiant», se souvient-il. Jusqu’à ce jour, fin 2004, où «les ennuis ont commencé». Après une décision négative, c’est une série de recours, tous rejetés, une interdiction de travail, puis un plan de vol pour Komlan. Il se cache chez un ami, alors que son épouse et ses filles sont contraintes de rejoindre un centre d’hébergement, «dans une toute petite chambre».
«On a tout perdu. Nos meubles, nos affaires, notre travail. C’était horrible.»
A l’époque, une nouvelle disposition de la loi sur l’asile, l’article 14, permet aux personnes bien intégrées de demander un permis B après cinq ans. Une requête est lancée ainsi qu’un réexamen de la demande d’asile. Komlan sort de la clandestinité, mais deux semaines plus tard, c’est l’expulsion.
S’ensuit une fuite rapide au Bénin, où il séjournera trois ans, de peur de rester au Togo. La distance avec sa femme et ses filles devient alors insupportable et via des passeurs grassement rémunérés, il parvient à regagner la Suisse. «Je suis croyant, je me suis dit ‘si c’est quelque chose de mal que de vouloir retrouver ma famille, alors cela n’aboutira pas’».
«Ces sont des dossiers séparés»
Sur place, l’enfer recommence. L’asile est refusé. Il faut de nouveau quitter un travail à peine trouvé, renoncer, encore, à une vie normale. Un seul espoir: l’article 14. Komlan et sa femme ont travaillé quand ils y étaient autorisés, et ils disposent d’un important réseau de soutien. «Mon employeur m’a gardé un poste durant un an et s’est battu pour moi.» Son épouse et ses filles obtiennent le sésame, lui un nouveau plan de vol. «Ce sont des dossiers séparés», leur explique-t-on.
A force de demandes et de soutien, le permis B finit toutefois par tomber pour Komlan. Rapidement, lui et sa femme retrouvent un emploi. Une nouvelle vie peut enfin commencer, douze ans après avoir foulé le sol suisse pour la première fois. Douze ans de galère. La naturalisation suivra, c’est l’aboutissement. «Je suis un miraculé», lâche Komlan, n’osant pas encore le sourire.
«On a eu la chance d’être entourés, mais si tu te retrouves seul, tu peux devenir n’importe quoi», conclut-il, amer.