Migration Scholars | Crimes et discours de haine: une menace bien réelle pour les personnes requérantes d’asile
Le discours politique actuel décrit souvent les requérant-e-s d’asile comme «menace» pour l’ordre public, voire comme perpétrateurs potentiels d’infractions pénales. On oublie alors facilement qu’ils sont souvent victimes de violence physique ou verbale, voire d’infractions pénales commises contre eux. Les crimes et discours de haine visant les personnes migrantes, notamment requérantes d’asile et réfugiées, constituent en effet un phénomène bien réel.
Article de Nesa Zimmermann et Viera Pejchal, Université de Genève, publié le 15 mars 2017 sur le site de l’OSAR. Cliquez ici pour lire l’article sur le site de l’OSAR.
Dans ce contexte, on parle de crime de haine en présence d’une infraction pénale motivée par un préjugé envers un groupe de personnes. Cette motivation distingue les crimes de haine d’autres infractions: l’auteur-e vise la victime en raison de son appartenance, réelle ou présumée, à un groupe spécifique, souvent minoritaire, de la population. On distingue généralement entre crime de haine et discours de haine: un discours ne constitue effectivement pas une infraction pénale en soi, mais peut le devenir à cause de son contenu, comme l’incitation à la haine ou la négation d’un génocide.
Attaques contre des requérant-e-s d’asile: l’exemple de l’Allemagne
Le phénomène est particulièrement visible en Allemagne, où les attaques xénophobes contre les personnes requérantes d’asile ont fortement augmenté au cours des dernières années. Ainsi, en 2016, les autorités allemandes ont enregistré environ 3500 attaques contre des réfugié-e-s et des requérant-e-s d’asile. Un peu moins d’un tiers était dirigé contre des structures d’accueil et d’hébergement – souvent des incendies criminels –, alors que les autres attaques visaient spécifiquement des personnes. Au total, ces incidents ont fait plus de 500 blessés en 2016. Dans d’autres pays aussi, les attaques contre les personnes perçues comme étrangères sont en augmentation. La police britannique a par exemple constaté un accroissement allant jusqu’à 58 pourcent des infractions avec motif raciste ou xénophobe suite au référendum «Brexit» sur la sortie de l’Union européenne.
Qu’en est-il en Suisse?
En comparaison, des incidents violents sont relativement rares en Suisse – mais ils existent aussi. En moyenne, une attaque par année a lieu contre un centre d’accueil. Ce chiffre est plus bas que dans les années 1990, malgré un nombre comparable de requérant-e-s d’asile. La Fondation contre le racisme et l’antisémitisme (GRA) recense d’autres incidents violents, comme des attaques contre l’intégrité corporelle ou des dommages intentionnels à la propriété, mais ceux-ci restent relativement peu nombreux pour l’instant. En revanche, les propos racistes ou xénophobes, souvent dirigés spécifiquement contre les requérant-e-s d’asile ou réfugié-e-s, sont de plus en plus courants. En ce début d’année, on a par exemple vu circuler des tous-ménages qualifiant les personnes réfugiées de «déchets» ou une vidéo dirigée, elle aussi, contre les personnes réfugiées postée par un politicien de l’UDC qui a depuis quitté le parti. Sur internet, la présence de propos haineux est particulièrement élevée. Selon la GRA, ceux-ci visent principalement les réfugiés, musulmans et juifs.
Quelle protection juridique?
Face à cette situation, la question de la protection juridique s’impose. L’interdiction de la «discrimination raciale» a été inscrite il y a vingt ans dans le Code pénal suisse Celle-ci vise avant tout le discours de haine, jugé que des expressions comme «requérant d’asile de merde» et «cochon d’étranger» n’entraient pas dans le champ d’application du code pénal, faute de se référer à une ethnie spécifique.
Cette double limitation, découlant d’une part de la formulation de la norme pénale et d’autre part de l’interprétation restrictive du Tribunal fédéral, est critiquable parce qu’elle crée une distinction entre des situations pourtant extrêmement proches et accorde une importance exagéré aux termes exactes utilisés par les perpétrateurs. Ce résultat ne tient pas compte des limites souvent floues entre «race», ethnie et origine nationale – dans tous ces cas, les victimes sont ciblées à cause de leur différence apparente avec la population majoritaire. Dans ce contexte, il faut souligner l’importance symbolique des législations sur les crimes de haine. Le fait de prévoir des infractions spécifiques sert entre autres à protéger explicitement des groupes traditionnellement victimes de stigmatisation et de discrimination. L’existence d’infractions spécifiques pour ce type d’actes leur donne par ailleurs une visibilité, puisqu’ils seront comptabilisés séparément dans les statistiques criminelles.
La norme pénale anti-discriminatoire souffre encore d’autres limitations, un aspect que nous avons approfondi ailleurs. Ici, on se bornera à constater que le droit suisse n’offre, à l’heure actuelle, qu’une protection lacunaire contre les crimes et le discours de haine, et que dans beaucoup de cas, les requérant-e-s d’asile et les réfugié-e-s ne seront pas couverts par la norme pénale anti-raciste.