Témoignages croisés | Sensibilisation dans les écoles
Les collégiens genevois en prise avec les réalités migraotires
Sensibiliser les jeunes aux réalités des migrations et de l’asile ? Voici ce qu’a proposé dans les établissements secondaires du canton de Genève le projet Migr’asile, coordonné par Vivre Ensemble, durant l’année scolaire 2016-2017. Migr’asile regroupe six associations actives dans le domaine migratoire, régulièrement sollicitées par les écoles pour présenter les réalités du terrain par des professionnels (1). Choisie par les enseignant-e-s en fonction de leur domaine d’intervention, chaque association propose une intervention de deux heures sur son action de terrain.
L’une présente son travail d’accompagnement auprès de personnes migrantes, l’autre le parcours juridique des requérant-e-s d’asile à leur arrivée en Suisse, une autre encore abordera la situation des personnes sans titre de séjour. Que ce soit sur la base de témoignages de personnes migrantes, de jeux de rôles ou de petits films, le travail de sensibilisation et d’information cherche à dépasser les a priori et à apporter des éléments factuels permettant aux jeunes de se forger leur propre opinion : présentation des parcours migratoires, explication sur les permis de séjour ou sur le système d’asile en Suisse ou en Europe, analyse des médias, travail sur les préjugés sur l’asile à l’appui de la brochure Il y a ce qu’on dit sur les réfugiés. Et il y a la réalité. Ces séquences permettent de donner corps à un discours trop souvent technocratique, où les parcours s’effacent derrière les statistiques et où la solidarité se perd derrière des graphiques. Témoignages croisés d’une enseignante, de deux témoins et d’une élève sur ces rencontres.
Anouk Piraud, chargée du projet Migr’asile
(1) En 2016-2017 Migr’asile a réuni les associations suivantes : Agora, Centre de contact Suisse-Immigrés, Collectif de soutien aux sans papiers, elisa-asile, ODAE romand, Vivre Ensemble. D’autres associations ont déjà manifesté leur intérêt à rejoindre Migr’asile pour 2017-2018. Face à la demande croissante des enseignant.e.s, le projet s’est concrétisé il y a un an sous l’impulsion de Géraldine Puig, alors chargée de mission Citoyenneté et droits humains pour le Secondaire II au DIP. Nous prévoyons de le reconduire en 2017-2018. Le projet a été coordonné par Vivre Ensemble avec le soutien du «fonds Vivre Ensemble» du Département de l’instruction publique du Canton de Genève et du Service Agenda 21- Ville durable de la Ville de Genève.
Témoignages croisés
Ancrer la réflexion dans le réel
« Les questions migratoires sont omniprésentes dans le quotidien des élèves, dans leur famille, dans les médias, sur les affiches dans la rue…
La rencontre entre les élèves et des représentants d’associations, et plus encore avec des personnes venant témoigner de leur parcours migratoire, permet d’ancrer la réflexion dans le réel. En cassant l’anonymat des chiffres et des faits, en mettant de côté les diatribes de certains politiciens, on laisse place à l’empathie et aux trajectoires individuelles.
Cela permet d’approcher cette thématique de façon plus sensible, de sortir du binaire découlant de la simplification de trop nombreux discours.
Les objectifs de ce type d’interventions sont notamment de permettre aux élèves de se positionner par rapport à des questions de société et à leurs propres valeurs, de se penser en tant que citoyens et de se décentrer. A travers ces temps d’échange, ils ont été amenés à s’interroger sur leur rapport à l’Autre et ont réfléchi à ce qui permet aux individus de former une collectivité et de cohabiter de la manière la plus harmonieuse possible.»
Marion Nemchi, enseignante à l’école de commerce et de culture générale (ECCG) Aimée-Sitelmann, Genève
Avoir la chance d’étudier
«J’ai accepté de témoigner devant des élèves avec l’idée que ce serait pour moi une bonne expérience. Je peux tester mon niveau de français et en même temps voir à quoi ressemble une classe avec des filles et des garçons.
Dans mon pays, je ne suis jamais allée à l’école. J’ai appris à lire et à écrire le dari avec ma grand-mère. Son père était professeur. Par la suite, je me suis beaucoup intéressée aux langues étrangères. A Kaboul, je regardais des chaînes de télévision pakistanaises. C’est ainsi que j’ai appris le ourdou. Ensuite, nous avons vécu en Iran. Là-bas, avec d’autres filles, j’ai suivi des cours d’anglais.
Je suis arrivée seule à Genève après un long et pénible voyage. Mon mari était resté bloqué en Grèce. Jusqu’à son arrivée en Suisse, je demeurais prostrée, sans énergie ! Mais une fois réunis, je me suis lancée dans l’étude de la langue française.
Les élèves de l’Ecole de culture générale étaient très sympathiques. J’ai trouvé la mixité intéressante. J’ai répondu à de nombreuses questions. Les garçons s’intéressaient également aux conditions de vie des hommes.J’ai constaté que je me débrouillais bien en français. C’était important, car je souhaite travailler comme interprète communautaire. J’ai tenu à dire aux élèves qu’ils avaient beaucoup de chance de pouvoir étudier et fréquenter cette école.»
Zarah, 23 ans, arrivée en Suisse il y a un an
Notre situation les intéresse
«Je suis en Suisse depuis 18 mois. Dans ma vie, il y a des hauts et des bas. Ici, je suis en sécurité, j’habite un studio et j’ai vite appris le français. Cependant, mon avenir est très incertain. A peine arrivé, j’ai eu une première audition et puis… plus rien! J’attends. J’attends et je deviens de plus en plus inquiet.
C’était une bonne chose d’avoir pu en parler devant des jeunes. Ils nous ont posé beaucoup de questions et n’hésitaient pas à demander des clarifications. Nous avons pu bien expliquer qui nous étions et ce que nous ressentions.
Nous avons constaté que notre situation les intéressait. Ils nous ont montré que nous n’étions plus seuls».
Latif, 23 ans, Syrie
Une expérience enrichissante qui me fait réfléchir
«Depuis longtemps, comme beaucoup de jeunes face au défi de la migration, je souhaite faire un voyage humanitaire. Je savais qu’il existe à Genève des associations en relation avec des requérants d’asile, mais je ne m’y étais jamais intéressée.
L’intervention de l’AGORA m’a beaucoup touchée. Je me suis dit: «C’est le moment ou jamais d’essayer de faire quelque chose pour aider!».
J’ai alors effectué un stage d’une semaine pendant les vacances de Pâques dans les locaux d’accueil de l’AGORA au Centre des Tattes.
J’ai pu ainsi me rendre compte des conditions de vie dans un foyer. C’est une expérience enrichissante qui me fait beaucoup réfléchir.
On m’a proposé, pour la suite, d’aider bénévolement une jeune femme afghane de mon âge à apprendre le français. J’ai accepté, bien que je ne sache pas trop bien comment m’y prendre.
Mais j’apprends petit à petit à mettre en place «une méthode». Entre la jeune femme et moi, le courant passe bien. Le fait que ce soit un geste gratuit permet de mettre l’accent sur le côté humain. Je sens que je fais quelque chose de bien et cela me fait du bien.»
Maeva Ullmann, 17 ans, élève, Genève