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Migration Scholars | Pourquoi les personnes réfugiées ne peuvent-elles pas simplement rester en Libye?

Les personnes migrantes et la population civile sont les premières victimes du chaos libyen. Depuis la chute du colonel Kadhafi en 2011, l’instabilité politique et les luttes de pouvoir entre groupes armés règnent dans le pays. La fuite vers l’Europe apparaît alors comme la seule issue possible pour échapper à l’enfer libyen.

Article de Tobias Eule, Université de Berne, publié le 2 août 2017 sur le site de l’OSAR. Cliquez ici pour lire l’article sur le site de l’OSAR.

Le débat sur la situation des réfugié-e-s en Méditerranée a pris ces dernières semaines une nouvelle ampleur. Les missions de sauvetage et les arrivées de migrant-e-s sur la côte italienne en sont la cause. Ce sont environ 95’000 personnes qui ont fui à travers la Méditerranée vers l’Europe depuis le début de l’année et, parmi elles, pas moins de 2300 personnes y ont perdu la vie. Après la conclusion de l’accord entre l’Union européenne (UE) et la Turquie en mai 2016, qui a rendu possible le  refoulement de toute personne arrivée en Grèce, la route via la Libye est devenue de loin le chemin le plus emprunté par les migrant-e-s vers l’Europe. C’est cette voie que la Commission européenne et les gouvernements tentent de contenir depuis l’année dernière. En plus d’un accord avec la Libye dans le cadre du réseau de partenariat de l’UE (EU Partnership Framework), on discute de la fermeture des ports italiens aux missions de sauvetage et de sanctions à l’encontre des organisations qui viennent en aide aux réfugié-e-s en mer. Ces dernières semaines, des membres du mouvement identitaire d’extrême droite ont même fait les manchettes des journaux en affrétant un bateau pour ramener dans les eaux libyennes les réfugié-e-s afin de contrecarrer ces missions de sauvetage.

Toutes ces approches ne prennent pas en compte la situation dans laquelle la Libye se trouve à l’heure actuelle. Trois raisons, détaillées ci-dessous, montrent pourquoi les migrant-e-s ne peuvent tout simplement pas demeurer sur place. 

La Libye est politiquement instable et dans un état équivalent à une guerre civile

La Libye a été dirigée, entre 1969 et 2011, par Mouammar Kadhafi, sous le règne duquel la population civile a été opprimée et de nombreux crimes contre l’humanité ont été commis. Depuis 2011, suite à la destitution de Kadhafi soutenue par l’OTAN, la guerre civile règne en Libye. Comme l’alliance entre les rebelles a été rompue, deux parlements et trois gouvernements y coexistent actuellement. Il y a, comme auparavant, plusieurs centaines de milices armées et rivales qui commettent de terribles violations des droits de l’homme. En outre, Daech («Etat islamique») a profité du chaos et s’est installé dans plusieurs sites; cette organisation y est combattue par les forces de différents gouvernements. Le HCR parle d’environ 600’000 personnes affectées par les déplacements internes.

Les migrant-e-s sont exposé-e-s à des risques particulièrement graves en Libye

[caption id="attachment_42606" align="alignright" width="212"] Enquête sur les mineurs accompagnés en Italie et Grèce[/caption]

Selon le HCR, il y a environ 100’000 réfugié-e-s en Libye, dont environ 40% sont enregistré-e-s. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estime cependant que le nombre total de migrant-e-s est nettement plus élevé et qu’il pourrait atteindre jusqu’à un million de personnes. Dans le contexte global incertain du pays, celles-ci sont particulièrement sujettes à des risques tels que la détention illégale et la torture dans les prisons dites avant expulsion, encore d’actualité même après le régime Kadhafi, l’enlèvement par Daech, ou encore la violence et l’exploitation par le crime organisé. La situation est si misérable que, dans une enquête sur 720 mineur-e-s non accompagné-e-s en Italie, toutes les informations recueillies indiquent de manière univoque que le temps passé en Libye a été la pire partie de leur voyage, pire que les adieux à la famille et pire encore que le passage souvent mortel à travers la Méditerranée. Selon la même étude, ce sont ces conditions déplorables qui ont déclenché en tout premier lieu chez eux le désir de fuir vers l’Europe.

La situation en Libye est un produit de la politique européenne

Bloquer les réfugié-e-s en Libye est irresponsable, non seulement à cause de la situation là-bas, mais parce qu’on ne reconnaît pas le rôle joué par l’Occident, l’Europe en particulier, dans le développement libyen, même sans tenir compte du passé colonial. Les gouvernements européens ont en effet longtemps soutenu activement la dictature de Kadhafi qui livrait du pétrole et retenait les migrant-e-s. La chute du régime s’est produite avec le soutien actif de l’OTAN, mais sans qu’un plan ait été préconçu afin d’établir un ordre politique pour la période qui allait suivre. Enfin, l’afflux de réfugiés en Libye est aussi une conséquence de l’accord UE-Turquie car la route la plus sûre vers l’Europe, via la Grèce et les Balkans a été effectivement fermée.

La «politique de la canonnière» ne constitue pas la solution pour répondre aux flux migratoires à travers la Méditerranée mais est une manière de fermer les yeux face à l’instabilité qui règne en Afrique du Nord et qui maintient les réfugié-e-s dans des conditions inhumaines.