France Culture | Quand les mineurs africains sont abandonnés dans la montagne
Reconduite illégale à la frontière de mineurs non accompagnés, procédure pénale à l’encontre de citoyens estimant de leur devoir d’humanité de sauver ces enfants des dangers de la montagne et de la mort, le reportage de Raphaël Krafft diffusé vendredi 17 novembre 2017 dans Le Magazine de la rédaction donne à voir les zones d’ombres de la politique aux frontières de la France, mais plus largement de l’Europe.
Cette affaire n’est pas sans rappeler les événements qui se sont déroulés à la frontière entre la Suisse et l’Italie, à l’été 2016, et qui ont valu à une députée tessinoise, Lisa Bosia Mirra, d’être condamnée pour incitation à l’entrée illégale. Elle aussi avait voulu aider des mineurs non accompagnés à déposer leur demande d’asile en Suisse -ils y avaient de la famille. Elle aussi agissait alors que les garde-frontières procédaient à des refoulements illégaux de réfugiés vers l’Italie.
Quand le devoir d’informer rejoint le devoir d’humanité? C’est pendant le tournage de ce reportage que Raphaël Kraffta été interpellé par la Gendarmerie avec la journaliste suisse du Temps Caroline Christinaz, auteure d’un article sur le sujet le même jour.
(Sophie Malka/Vivre Ensemble)
Ecouter le reportage et l’entretien avec comme invité François Sureau, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation et bénévole à l’association Pierre Claver
Lire l’article de Caroline Christinaz, Au col de l’Echelle, des jeunes migrants piégés par le froid et renvoyés par la France, Le Temps, 18 novembre 2017.
Ci-dessous l’article publié sur le site de France Culture.
Quand les mineurs africains sont abandonnés dans la montagne
Crédits : Raphaël Krafft – Radio France
Ils ont franchi plusieurs frontières, leur périple a été long et douloureux et il n’est pas terminé. Depuis le début de l’année, près de 1 500 réfugiés, exilés ou migrants sont arrivés à Briançon en provenance d’Italie. Près de 60% d’entre eux sont des mineurs non accompagnés (MNA).
Certains se retrouvent dans le village de Névache, dans la vallée de la Clarée, au nord de Briançon. Pour y parvenir, ils ont franchi des cols, notamment le col de l’Echelle, à 1762 mètres d’altitude. Au péril de leur vie, avec souvent une simple veste, des baskets, et rien à manger. Ces migrants africains souffrent de gelures, d’hypothermie, de lésions, il y a eu des amputations. « Ils sont en très mauvais état, alors on les retape », explique Bernard, un retraité qui leur porte secours, « des hommes, même parfois des femmes enceintes, qui ne sont pas en état de continuer leur route ». Impossible de fermer les yeux pour le maire divers droite de Névache, Jean Louis-Chevalier:
On est confronté au passage des migrants en permanence sur notre commune. Il faut que les gens soient bien conscients que nous restons un pays d’accueil, le maire étant responsable de la sécurité sur sa commune, ne peut pas ignorer les dangers que vont courir tous ces gens.
Une cabane de berger, tout en haut du col de l’Echelle, a été aménagée par des habitants, avec quelques couvertures pour que les migrants de passage puissent se réchauffer. « On a mis cela en place pour éviter des morts », raconte Alain, accompagnateur de montagne à la retraite. « Le problème que l’on a ici, c’est que les personnes qui arrivent d’Italie ne savent pas qu’elles vont être confrontées à un milieu très difficile. On a eu des nuits à moins 24 degrés. Cela peut devenir extrêmement dangereux. »
Des migrants qui se retrouvent perdus dans la montagne
Alseny, jeune Guinéen rencontré dans le squat « Chez Marcel », à Briançon, raconte:
On a pris la route pour traverser la frontière. Cela n’a pas été facile car on s’est trompé de route, on a marché 7 heures dans le vide. Après, on a croisé une dame. Il faisait très froid, elle nous a accueillis dans sa voiture. On s’est réchauffé, elle nous a donnés des biscuits et des pulls.
Une solidarité montagnarde qui n’est pas du goût de tous dans la vallée. Certains dénoncent ceux qui ont accueillis des exilés chez eux, ceux qui ont accompagné en voiture des réfugiés à Briançon. Les forces de l’ordre sont très présentes dans la région, des barrages sont dressés régulièrement.
La pression migratoire a augmenté dans le département reconnaît le préfet des Hautes-Alpes, Philippe Court, et il précise « qu’entre 2016 et 2017, le nombre de passeurs que nous avons interpellés a fortement augmenté, ils étaient 3 en 2016, et en 2017, 28 passeurs ont été interpellés ». A la question: incluez-vous dans ce nombre les citoyens de la vallée de la Clarée qui prennent les gens en auto-stop? Le préfet répond: « Un passeur est quelqu’un qui fait franchir de manière irrégulière la frontière à un ressortissant étranger qui n’a pas le droit de le faire. Les éléments de motivation, chacun à les siens. Ce qui est certain, c’est que la légitimité des principes, l’importance des valeurs que nous avons, reposent sur deux piliers essentiels : le premier est le respect du droit, de nos lois, qui ont un sens véritable (…), le second est d’appliquer de manière juste, parfois ferme, et toujours respectueuse en tout cas des personnes, nos principes et nos lois. »
Dans le cadre de ce reportage, Raphaël Krafft a pu constater qu’en l’espace d’une journée au moins six enfants avaient été notifiés d’un refus d’entrée sur le territoire français et abandonnés de nuit à la borne frontière dans la montagne par des températures négatives. Ils ont eu pour unique injonction des forces de l’ordre françaises de marcher seuls vers l’Italie.
Cet épisode est-il anecdotique? Tous les témoignages recueillis et observations faites durant ce reportage semblent prouver le contraire.
Reportage de Raphaël Krafft, qui a été interpellé par la Gendarmerie avec une journaliste suisse pendant son tournage. Reporters sans frontières (RSF) a rappelé à cette occasion dans un communiqué que « l’exercice du journalisme n’est pas un délit et que la protection des sources est un droit ».
Invité: François Sureau, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation et bénévole à l’association Pierre Claver
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