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Documentation

REISO | De la liberté de mouvement des demandeurs d’asile

À quelles conditions une atteinte à la liberté de mouvement des requérants d’asile est-elle admissible? Des interdictions de périmètres collectives sont-elles acceptables? Y a-t-il restriction de la liberté de mouvement s’il n’y a pas d’interdiction formelle, mais qu’on fait comprendre aux requérants d’asile que leur présence n’est pas souhaitée en certains lieux? Voilà quelques questions auxquelles répond un avis de droit du Centre de compétence pour les droits humains de l’Université de Zurich, réalisé sur mandat de la Commission fédérale contre le racisme.

Cet article, signé Aldo Brina (Centre social protestant Genève) a été publié  par la revue d’information sociale REISO dans le cadre de son dossier 2017 « Inclure les étrangers ».  Retrouvez l’article sur le site de REISO en cliquant ici

Ce texte est un développement de l’article publié dans l’édition de septembre de la revue Vivre Ensemble, consacrée à la liberté de mouvement des demandeurs d’asile (VE 164 / septembre 2017). Il a été développé  suite à la table ronde organisée le 3 octobre 2017 dans le cadre de la Coordination asile.ge sur la thématique. Nous reprenons sous forme d’extrait ce développement.

[caption id="attachment_45197" align="alignright" width="228"] © Coordination Asile-GE[/caption]

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Les formes variées de la dissuasion

C’est pour faire connaître ses recommandations et discuter de leur impact qu’une formation, des ateliers et une table-ronde ont été organisés le 3 octobre dernier par la Coordination asile.ge[2]. Ce colloque a aussi permis de faire le point sur les nouvelles restrictions en matière de liberté de mouvement engendrées par la restructuration de l’asile prévue pour 2019 et offert l’occasion d’échanger les expériences de terrain actuelles entre défenseurs du droit d’asile actifs dans différents cantons.

Ainsi à Zurich, les assignations à résidence sont de plus en plus souvent utilisées à l’encontre des demandeurs d’asile déboutés. Ceux-ci ne peuvent plus quitter le territoire de la commune à laquelle ils ont été assignés, sous peine d’être poursuivis pénalement. Ce qui pose problème quand les demandeurs d’asile veulent rendre visite à des membres de leur famille, aller à une permanence juridique, etc. L’objectif affiché par l’autorité compétente est d’exécuter plus facilement les renvois, mais cette pratique a aussi pour but implicite de réduire le nombre de personnes à l’aide d’urgence par la dissuasion, c’est-à-dire en compliquant la vie des personnes concernées au point de provoquer leur départ dans la clandestinité.

Dans le canton de Vaud, les assignations à résidence en vue du renvoi sont fréquentes. L’assignation est généralement effective entre 22h et 7h. L’adoption de cette pratique pourrait selon certains être une « contre-offensive » des autorités menée contre le refuge mis en place par le Collectif R, car les assignations empêchent les personnes concernées de participer à cette action collective.

À Genève, les assignations à résidence sont peu utilisées. Pour les renvois, les autorités recourent davantage à la détention administrative. Des interdictions de périmètre sont émises, mais plutôt dans l’objectif de lutter contre le trafic de drogue lorsque la personne a commis des infractions y relatives.

Quelles actions pour faire face ?

Lorsque des restrictions à la liberté de mouvement sont formulées, il est nécessaire de demander des décisions écrites et motivées. Les pratiques actuelles sont généralement floues et les incertitudes sont extrêmement courantes. Une décision écrite permet non seulement de connaître la base légale sur laquelle repose la décision, mais aussi d’interroger la compétence de l’autorité ordonnant la restriction. Sur cette base, des démarches juridiques pourront être entreprises si nécessaires.

Elles ne pourront pas systématiquement être engagées car le dépassement de la durée de séjour dans un centre fédéral ou les régimes restrictifs appliqués ici et là ne font pas toujours l’objet d’une décision formelle indiquant des voies de recours, loin s’en faut ! Autre obstacle : si le recours est possible, qui le rédige? Pour défendre ces droits, les demandeurs d’asile s’adressent à des permanences qui ont déjà fort à faire avec des ressources limitées. Les juristes relèvent par ailleurs la difficulté de faire reconnaître sur le fond des violations à la liberté de mouvement devant les juridictions suisses. Quant au recours à la Cour européenne des droits de l’homme, la démarche est complexe, peut durer plusieurs années, et exige une forte détermination de la part des demandeurs d’asile lésés pour entamer ces démarches sur la liberté de mouvement en parallèle à leur demande d’asile proprement dite.

Enfin de nombreux participants ont souligné l’importance de l’implication de la société civile. Des contacts réguliers entre résidents et demandeurs d’asile hébergés dans les centres et potentiellement restreints dans leur liberté de mouvement permettent d’une part un soutien moral et des échanges absolument cruciaux. D’autre part, ils poussent les résidents suisses, qui ont souvent plus de ressources et sont plus au fait des enjeux juridiques et politiques, à entreprendre eux-mêmes différentes démarches : lettres de soutien, pétitions, recours, diffusion de témoignages, rédaction d’articles, etc. Ces actions sont indispensables tant pour défendre individuellement les demandeurs d’asile que pour rendre visible la réalité souvent cachée des conditions de vie des demandeurs d’asile et des entraves à leurs droits fondamentaux.

Aldo Brina