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Notre regard

Éditorial | Défenseur des droits. Un rempart contre l’arbitraire

Illustration: Hani Abbas, février 2018 – Vivre Ensemble

Mi-novembre, une femme enceinte de 8 mois et sa fille de un an ont été expulsées vers l’Italie par les autorités zurichoises.[1] L’hôpital de Triemli (ZH) avait attesté que l’état de la femme ne permettait pas un tel voyage. Le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) s’est empressé de demander une nouvelle évaluation à la firme médicale Oseara, qui lui est liée par un mandat de prestation. Au grand dam de l’avocate de la requérante et de l’hôpital, outrés par le procédé et les conditions du renvoi (p.11).

Ce cas est symptomatique d’une politique cherchant à contrôler l’ensemble de la procédure d’asile. Ici, le SEM s’est assuré le blanc-seing de médecins privés: il ne les rémunèrerait que lorsque la personne est déclarée apte au renvoi[2]! Alors que leur rôle devrait d’abord être celui de protéger la santé des patients, les médecins d’Oseara se préoccupent d’assurer la bonne conduite de l’expulsion.

L’administration fédérale veut ainsi avoir les mains libres, agir en vase clos, accaparer les liens établis entre les personnes en procédure et la société civile, sans contestation ni contrôle judiciaire.

La défense juridique des demandeurs d’asile dans les centres fédéraux instituée par la nouvelle Loi sur l’asile connaîtra les mêmes écueils, même si les juristes travaillent de bonne foi (p.2). Sous mandat du SEM, cette représentation juridique doit compenser la réduction drastique des délais laissés aux candidats réfugiés pour recourir en cas de décision négative. Durant la campagne de votation, la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga reconnaissait que sans cette contrepartie, la procédure serait inéquitable pour les personnes en demande de protection.

La loi elle-même est donc déjà corrompue. Elle renforce le pouvoir des autorités au détriment des individus. Le rôle des représentants légaux revient alors à rétablir un peu d’équilibre. Sauf dans les cas « voués à l’échec », où ils seront incités à renoncer à recourir, laissant les personnes concernées seules face à la machine administrative.

Tel sera probablement le sort de celles relevant d’une procédure Dublin – deux tiers des dossiers concernés par la procédure accélérée dans les centres fédéraux- activée de façon quasi mécanique par Berne. Les « chances de succès » d’un recours sont in mes: les circonstances familiales, de vulnérabilité, mêmes extrêmes, laissent de marbre ses fonctionnaires (p.12).

Pour la juriste Karine Povlakic, analysant ce rapport de force, cette « notion de « chance de succès» a pour objet de faire échec à une défense engagée des requérants d’asile » [3]. À ses yeux, le rôle des mandataires doit au contraire contribuer à « faire évoluer la jurisprudence, justement parce qu’ils font le lien entre les migrants dont ils portent les revendications, et le pouvoir judiciaire, dont le rôle est de réguler l’activité de l’administration lorsqu’elle empiète sur les droits des particuliers ».

Recours après recours, les juristes ont permis de créer une jurisprudence sur la Grèce, sur la Hongrie, à imposer le respect de certains droits fondamentaux (p. 8). Leur engagement est un rempart contre l’arbitraire qu’il s’agit de reconnaître, et de soutenir.

Sophie Malka


[1] 20 minutes, « Enceinte, elle est expulsée malgré un certif médical », 20 décembre 2017.

[2] Tages Anzeiger, « Ärzte ohne nötige Qualikation begleiten Ausschaffungsflüge », 16 janvier 2018. Voir également notre article en ligne: Vivre Ensemble, Les expertises médicales douteuses de l’entreprise OSEARA pour le compte du SEM, asile.ch, 26 janvier 2018.

[3] Karine Povlakic, «Commentaire de jurisprudence: Séjour dans les centres fédéraux: les rouages de la discrimination », ASYL, 2/2017, 2017.