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Comptoir

Renvois vers l’Éthiopie | Florilège d’un traitement médiatique

Depuis le 1er mars 2018, les Éthiopiens déboutés de leur demande d’asile pourront être renvoyés dans leur pays contre leur gré. Le gouvernement éthiopien a signé un accord de réadmission avec l’Union européenne, qui a ensuite été élargi à la Suisse. Ce changement met en péril le séjour en Suisse d’au moins 300 réfugiés éthiopiens. Saisi par les traitements médiatiques différenciés de la nouvelle par les quotidiens romands [1] début mai 2018, le Comptoir des médias a décortiqué ce sujet, notamment avec des étudiants en ingénierie des médias (HEIG VD). En Suisse romande, la plupart des quotidiens ont repris une dépêche de l’Agence Télégraphique Suisse (ATS), tandis que 24 heures a effectué un travail éditorial spécifique. L’impact de ces différences sur la compréhension du public est loin d’être anodin.

Une majorité de médias romands a reproduit l’information issue de la dépêche ATS. Celle-ci précise que parmi les 300 personnes concernées par un renvoi en Éthiopie, figure « l’ex-imam radical de la mosquée de An’Nur de Winterthour condamné en novembre dernier à 18 mois de prison avec sursis notamment pour incitation au crime et à la violence». L’homme a fui à la suite de sa condamnation, mais a été intercepté en Allemagne. Il sera ramené en Suisse, avant d’être renvoyé en Éthiopie. L’affaire avait été largement relayée par la presse. Mais les raccourcis sont vite faits. Combien de lecteurs risquent de faire l’amalgame et d’assimiler aux pratiques d’un seul homme les 299 autres personnes concernées, faisant d’elles autant de menaces potentielles pour la Suisse ?

La plupart des journaux a également repris la suite de la dépêche ATS qui informe que le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) envisage la possible levée d’admissions provisoires pour 3’200 réfugiés érythréens, jugeant que le retour au pays pour des exilés ne serait plus aussi risqué. Or, au-delà de la proximité géographique de ces deux nations, rien ne rapproche les deux informations : ni les réalités géopolitiques ni les mesures administratives envisagées par le SEM (soit la possibilité de renvoyer des personnes contre leur gré en Éthiopie d’un côté, et faire perdre la légalité de séjour à des personnes érythréennes en Suisse de l’autre). Brouillage de pistes? L’exercice effectué avec les étudiants en ingénierie des médias démontre qu’effectivement, dans un premier temps, ils n’ont pas noté que la dépêche traitait de deux pays différents.

Tout est dans l’angle de l’article

Le ton est sensiblement différent dans le traitement de la nouvelle faite par le quotidien 24 heures intitulée : «Asile, l’étrange accord de la Suisse avec l’Éthiopie». Relayant une enquête du Bund et du Tages-Anzeiger, l’article dévoile que l’accord prévoit non seulement une importante somme d’argent versée à l’Éthiopie, mais également des échanges d’informations avec les services secrets éthiopiens. Il ressort clairement que cela représente un risque pour les opposants au régime et donc une potentielle atteinte à l’intégrité des personnes: lors du dépôt de leur demande d’asile, celles-ci doivent pouvoir compter sur la non-divulgation par l’autorité des informations transmises. Cette dimension est fondamentale pour le respect du droit d’asile.

Faire des liens, mais lesquels ?

Ces deux dernières années, la Suisse a été amenée à plusieurs reprises à indemniser des personnes qui avaient été torturées suite à leur renvoi dans leur pays d’origine. Actuellement, des suspicions de cas similaires sont dénoncées concernant des ressortissants soudanais récemment renvoyés [2].

Dès lors, les deux nouvelles réunies dans la dépêche ATS, soit la reprise des renvois en Éthiopie et la réévaluation favorable de la situation des droits humains en Érythrée, ont peut-être cela comme seul point commun qu’un jour peut-être la Suisse devra s’en excuser.

À la lecture de ces différents articles, notre souci de décryptage des médias se réaffirme: le traitement différencié d’une même nouvelle induit diverses appréhensions de la réalité.

1 – Notre analyse porte sur les quotidiens : ArcInfo, La Liberté, Le Journal du Jura, swissinfo et 24 heures
2 – Lire à ce sujet la brève de l’ODAE « Malgré la mobilisation, la Suisse exécute un renvoi par vol spécial vers le Soudan » du 03.05.2018

GIADA DE COULON

TRAVAILLER AUTOUR DU TRAITEMENT MÉDIATIQUE

Fact-checking, décryptage statistique, terminologie: l’activité menée auprès des journalistes romands par le Comptoir des médias intéresse de plus en plus les administrations publiques et les lieux de formation supérieure.

La publication de notre Mémo[ts] à l’intention des journalistes pour parler d’asile et de migration en 2017 a donné au Comptoir une notoriété et une crédibilité auprès d’autres publics que les seuls journalistes, ce qui nous réjouit.

Nous avons ainsi été sollicités pour mener plusieurs ateliers et présentations autour du traitement médiatique de l’actualité de l’asile. Notre objectif est alors de sensibiliser à la nécessité d’appréhender les informations avec un regard critique, d’en comprendre certains travers, mais aussi de souligner le rôle primordial que les médias jouent dans notre démocratie.