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Le temps des réfugiés | Non les conditions ne sont pas remplies pour des renvois en Erythrée

Les autorités suisses rêvent de pouvoir renvoyer vers l’Érythrée des personnes démises de leur permis F (admission provisoire). Elles disent agir en conformité avec les récentes jurisprudences du Tribunal administratif fédéral (TAF) que l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), Amnesty International (AI) et les Bureaux de consultation juridique (BCJ) en Suisse estiment absolument inadmissibles (1).

Billet de Jasmine Caye publié son blog, hébergé sur le site du Temps, le 11 octobre 2018. Cliquez ici pour lire l’article sur le blog Le Temps des réfugiés.

Clairement, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) doit suspendre la procédure de levée des admissions provisoire et attendre que la situation des droits humains dans ce pays s’améliore. Sheila B. Keetharuth, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme en Érythrée estime que rien n’a été fait. Au contraire il semblerait même que les choses s’empirent. Des Érythréens victimes du régime, disent que la situation s’est dégradée et depuis l’ouverture des frontières avec l’Éthiopie le 11 septembre des milliers de personnes ont traversé la frontière pour s’installer en Éthiopie.

Monsieur Mario Gattiker, Secrétaire d’État aux migration, se trompe quand il dit que les “conditions sont réunies pour des renvois en Érythrée” comme il le déclarait au Temps il y a peu. Encore une fois, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a montré à quel point il est influencé par le politique ce qui justifie le besoin d’une surveillance supranationale  – comme celle de la Cour européenne des droits de l’homme – sur le respect des droits fondamentaux des personnes en Suisse.

La répression politique continue en Érythrée

La répression politique continue en Érythrée malgré les efforts diplomatiques d’Asmara pour demander à la communauté internationale de lever les sanctions.

Deux mois après la signature de l’accord de paix (1) entre l’Éthiopie et l’Érythrée et au lendemain de la consolidation de cet accord à Djeddah le 16 septembre 2018, Abrehe Kidane Berhane, un ancien ministre des finances a été arrêté pour avoir critiqué, sur YouTube et dans un livre, le président Isaias Afwerki en demandant  la fin de la dictature et le transfert du pouvoir vers une nouvelle génération de jeunes dirigeants.

 

Dans une vidéo diffusée par Human Rights Watch, les familles de prisonniers politiques témoignent de la dureté du régime à l’égard de milliers de personnes détenues au secret, parmi lesquelles figurent 21 personnes – onze hauts représentants du gouvernement et  dix journalistes – arrêtés en 2001 après avoir critiqué le président Isaias Afewerki. Selon le neveu d’Abrehe Kidane Berhane qui témoigne dans la vidéo, en Erythrée la situation des droits humains est pire qu’avant.

 

Il y a quelques jours, à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU, le Ministre érythréen des affaires étrangères demandait que les sanctions imposées en 2009 et 2011 soient levées. La question sera à nouveau soulevée en novembre au Conseil de sécurité où les États-Unis, la France et l’Angleterre conditionnent heureusement cette levée à des progrès en matière de respect des droits humains.

Les Érythréens continuent de fuir leur pays par milliers

Depuis l’ouverture le 11 septembre de la frontière éthiopienne, près de 15’000 Érythréens sont arrivés en Éthiopie, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR). C’est la combinaison de conditions inchangées à l’intérieur de l’Érythrée et de l’ouverture des frontières qui a entraîné une nette augmentation du nombre de réfugiés. Le taux d’arrivée quotidien moyen a plus que quadruplé, selon le HCR. Cela porte à 175 000 le nombre total de réfugiés érythréens en Éthiopie, dont une grande partie sont des mineurs non accompagnés. Les organisations sur place prévoient une poursuite des arrivées.

La levée des permis F (admissions provisoires) n’aura aucun impact sur les départs

Début septembre, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) a annoncé la fin du Projet pilote d’examen des admissions provisoires de 250 ressortissants érythréens et  a conclu favorablement à la levée de l’admission provisoire pour une vingtaine de personnes puisque leur renvoi vers l’Erythrée pouvait être exigé sans pour autant être forcé. Cette levée peut faire l’objet d’un recours et le Tribunal administratif fédéral (TAF) se penche actuellement sur un cas soumis par le Centre social protestant à Genève. D’autres recours sont attendus et certains avocats se disent prêts à aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.

D’ici l’été 2019, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) prévoit de poursuivre l’examen de la situation d’environ 2’800 Érythréens admis provisoirement et a indiqué son intention de se pencher en priorité sur les dossiers concernant les familles, les mineurs non-accompagnés (MNA) et les jeunes en formation. Le SEM explique avoir aligner sa pratique en matière de renvoi sur deux arrêts récents et difficiles à comprendre du TAF (1).

Ulcéré par l’arrêt du mois de juillet (Arrêt E-5022/2017 – 10. 7. 2018), l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) a qualifié la décision de “négligente” pointant du doigt les incohérences du jugement dans lequel le tribunal, tout en avouant le manque d’informations à disposition, base sa décision sur des présomptions et non sur des sources sûres (3).

La levée des permis F (admissions provisoires) est une mesure principalement dissuasive à ce stade puisque les personnes concernées se retrouvent à l’aide d’urgence. Leur départ dépend de leur bonne volonté car les renvois forcés vers l’Erythrée ne sont pas réalisables pour l’instant précise Madame Emmanuelle Jaquet von Sury, Porte-parole du SEM:

“Une fois que la décision de renvoi est prise, les cantons sont responsables de son exécution. Le SEM apporte son soutien aux cantons qui le demandent. Il est également rappelé aux personnes concernées que leur devoir de coopération avec les autorités leur impose de quitter le territoire dans le délai imparti. Le SEM fait un suivi des départs uniquement lorsqu’il a été saisi par les cantons.  Le SEM paie le billet d’avion. Ces personnes ont droit à une aide individuelle au retour de CHF 1000 .- et peuvent obtenir une aide additionnelle matérielle pouvant atteindre CHF 3’000.- pour financer un projet individuel de réintégration dans leur pays de provenance. En cas de problèmes de santé, une aide médicale au retour peut compléter l’aide financière.”

Compte tenu de la situation actuelle en Érythrée, il est bien probable que les personnes visées disparaissent dans la nature en Suisse ou en Europe ou décident de s’installer en Éthiopie comme tant d’autres. Mais même en Éthiopie, les réfugiés craignent encore les représailles du pouvoir et cherchent des garanties sur place du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) afin de ne pas perdre leur statut.

Il est encore temps pour le Secrétariat d’État aux migration (SEM) de geler cette procédure en attendant la mise à exécution des réformes démocratiques recommandées par Sheila B. Keetharuth, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme en Érythrée (3). Elles sont claires et simples et lorsque ces réformes seront mises à exécutions, la Suisse pourra alors considérer la levée des admissions provisoire au cas par cas.

——

  1. Arrêt E-5022/2017 du 10 juillet 2018 sur l’Erythrée et arrêt D-2311/2016 du 17 août 2017.
  2. Le 9 juillet, le président érythréen Isaias Afwerki et le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, réunis à Asmara, ont conclu un accord de paix entre les deux pays. Ce traité de paix éinscrit dans une volonté commune de développer leur économie. Le 16 septembre 2018, Issaias Afeworki et Abiy Ahmed ont signé un accord consolidant leur réconciliation et renforçant “la sécurité et la stabilité dans la région” de la Corne de l’Afrique. La signature de cet accord s’est déroulée en Arabie Saoudite, en présence notamment du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, du roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud et du prince héritier Mohamed ben Salmane.
  3. Lire la position de l’OSAR: Un arrêt négligeant sur l’Erythrée, communiqué de presse, 12.7.2018
  4. Premièrement, les familles des personnes disparues dans les prisons érythréennes devraient être informées du sort de leurs proches. En outre, le nombre important mais inconnu de personnes emprisonnées en Érythrée, certaines pour des périodes excessivement longues et d’autres récemment arrêtées, devrait être déféré devant les tribunaux ou libéré sans condition et sans délai. Deuxièmement, la mise en œuvre de la Constitution en suspens depuis 1997 constituerait la base naturelle sur laquelle bâtir un cadre juridique national solide et une société régie par le droit. Troisièmement, des milliers d’Erythréens ont quitté le pays à cause de violations commises dans le cadre du service militaire national. Avec la fin du contexte «pas de guerre, pas de paix» qui justifiait le caractère indéfini du service militaire / national, le gouvernement pourrait informer les recrutés récemment comme conscrits qu’ils n’auront pas à servir plus longtemps que prévu. Le Gouvernement devrait élaborer sans plus attendre un plan de démobilisation pour les militaires effectuant déjà de longues périodes de service au sein de l’armée ou du service militaire, en particulier pour les conscrits de longue date.

Image d’entête: Photo © UNHCR, G.Beals, 2012

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