OSAR | Extrémisme de droite: plus bruyant mais pas majoritaire
Dans sa rubrique « Des faits plutôt que des mythes », l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) publie un article de Tobias Eule qui analyse la montée en puissance des extrémismes de droite et adopte un regard critique sur le sujet. Les questions migratoires auraient tendance à polariser la population, mais n’auraient pas entraîné un glissement politique majeur vers la droite, selon l’auteur. Les mouvements d’extrême droite seraient donc plus « bruyants, actifs et dangereux » en Europe, mais pas forcément majoritaires.
Article de Tobias Eule publié par l’OSAR le 4 octobre 2018, disponible en ligne.
Le phénomène migratoire polarise les gens et le paysage politique en Europe. Les faits montrent que des groupes d’extrême-droite deviennent de plus en plus bruyants, actifs et dangereux, mais que leurs rangs ne représentent pas nécessairement une plus forte majorité.
Fin août, des milliers de personnes ont participé à une manifestation spontanée de groupes de droite à Chemnitz en Allemagne. Des photos d’Hitler saluant, des prises de vue de slogans racistes et la vidéo controversée d’une chasse aux jeunes immigrants ont attiré l’attention du monde entier. Début septembre, les démocrates suédois, parti d’extrême droite, sont devenus, lors des élections, la troisième force la plus puissante de la Suède libérale. Partout en Europe, ces partis et mouvements semblent marquer des points avec leurs politiques xénophobes. De plus, des déclarations racistes et des agressions nourrissent l’actualité. L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a reconnu une tendance à la hausse des incidents antisémites ou discriminatoires durant la dernière décennie. En Suisse également, les centres de conseil pour les victimes du racisme ont enregistré une augmentation du nombre d’incidents signalés. Dans un article scientifique de la célèbre revue «Ethnic and Racial Studies», l’absence de discussion générale sur le racisme en Suisse et la Commission fédérale contre le racisme (CFR), plus particulièrement, ont été durement attaquées dans un même mouvement, notamment en raison du manque de ressources et d’indépendance, mais aussi parce que le racisme y est uniquement considéré comme la résultante de «situations individuelles tragiques» et non comme un problème institutionnel.
Une image toujours positive de l’intégration
Ces événements semblent suggérer que quelque chose de fondamental est en train de changer en Europe. En Allemagne, les résultats du Baromètre de l’intégration du Conseil des expert-e-s en matière d’intégration et de migration, qui ont été publiés à la mi-septembre, créent d’autant plus l’étonnement. Cette enquête représentative a montré que les Allemand-e-s ont une image majoritairement positive de l’intégration des personnes migrantes et que celle-ci est restée relativement stable depuis le début des enquêtes en 2011. Les événements de ces dernières années semblent ainsi avoir eu relativement peu d’influence sur l’opinion envers les migrant-e-s. D’autres études comparatives européennes confirment cet état de fait et, à quelques exceptions près, constatent des attitudes plutôt stables à l’égard de la migration.
Comment est-il possible de concilier ces phénomènes contradictoires? Plusieurs chercheur-euse-s, comme le Britannique Rob Ford, soulignent que la migration polarise davantage les Européens. La fondation allemande Friedrich Ebert parle à cet égard d’un « Gespaltene Mitte [centre divisé] » : il n’y a donc pas nécessairement un «glissement vers la droite» majeur dans les attitudes politiques de la population, mais plutôt un plus grand écart entre les groupes favorables aux migrant-e-s et les groupes opposés à la migration. Ces derniers semblent avoir une plus grande volonté de soutenir les partis populistes de droite comme les Démocrates suédois ou Alternative pour l’Allemagne et plus clairement encore des manifestations d’extrême-droite comme celle de Chemnitz. Cette situation correspond aux résultats d’études menées en Suisse ou en Allemagne, où il a été établi, il y a plus de dix ans déjà, qu’une minorité importante avait des attitudes antisémites, racistes et d’extrême-droite. Dans un même temps, les études actuelles montrent cependant également que de nombreuses personnes, soit environ 55% de la population adulte en Allemagne depuis 2015, continuent à soutenir activement les personnes migrantes et, en particulier les personnes qui ont dû fuir. En Suisse aussi, de nombreux projets sociaux en leur faveur ne seraient guère possibles sans l’aide de bénévoles.
Le climat politique actuel permet ainsi aux partis et groupes hostiles à l’immigration de mobiliser plus fortement des personnes partageant les mêmes idées. Cette situation est alarmante et exige une réponse critique, une contre-mobilisation comme une meilleure protection des victimes et une sensibilisation des forces de l’ordre. En Suisse en particulier, comme l’a constaté le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à la fin de l’année dernière, d’autres mesures doivent encore être prises. Nous ne devons pas oublier, dans un même temps, que les positions racistes ou contre la migration sont fortes et efficaces pour sensibiliser l’opinion publique, mais qu’elles sont par contre loin de pouvoir obtenir une majorité.
OSAR
Tobias Eule, Université de Berne (traduit de l’allemand)