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Notre regard

Pacte mondial sur les migrations: controverses plurielles

Signera, signera pas ? La Suisse attend le feu vert de son Parlement. Les États-Unis n’en font plus partie depuis un an déjà. Le 10 décembre 2018, 150 États l’ont ratifié.  Difficile pour les non avertis de savoir ce qu’est ce Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. Tout autant que de comprendre l’impact national que représenterait sa ratification. En marge de cette rencontre médiatisée, plusieurs acteurs des mouvements sociaux, des organisations de défense des droits humains, ont exprimé des critiques envers ce pacte onusien jugé trop peu respectueux des droits des personnes migrantes. Le Sommet des peuples a même élaboré un texte alternatif: le Pacte international de solidarité et d’unité d’action pour les droits de toutes les personnes migrantes et réfugiées. Retour sur quelques analyses récentes pour mieux comprendre les éléments clés de la controverse.

  • Télécharger ici le PDF du texte définitif en français du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.
  • Télécharger ici le PDF du texte définitif en français du Pacte international de solidarité et d’unité d’action pour les droits des toutes les personnes migrantes et réfugiées.

Historique Un article dans The Conversation revient sur la genèse du Pacte mondial pour des migrations sûres. En 2003, Kofi Annan avait placé les migrations en priorité en créant la Commission mondiale sur les migrations internationales. En 2016, un sommet de l’ONU sur les migrations a permis de décider de l’élaboration d’un pacte apportant des recommandations politiques aux questions posées par les migrations actuelles. Depuis, les États membres, dont la Suisse, soutenus par l’Organisation Internationale pour les migrations (OIM), ont travaillé de concert pour forger une base d’action et d’appréhension commune. L’idée de l’adoption de pacte a été acceptée par 192 États membres en juillet de cette année. Il a été ratifié le 10 décembre 2018 à Marrakech par 150 pays. Pourquoi cette différence ?

Front anti-migrants en Europe.  Accusé à tort de vouloir faciliter l’arrivée de personnes étrangères en Europe et de contraindre les pratiques nationales concernant l’accueil, ce pacte a été qualifié d’imposture. Parmi les pays non-signataires, plusieurs ont à leur tête des dirigeants ayant fait de la rhétorique anti-migrants un de leur cheval de bataille. Premier sur la liste en décembre 2017 : les Etats-Unis. S’y sont ajoutés en novembre 2018 entre autres : La Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et l’Autriche. Mais également des pays extra européens de taille comme l’Australie, le Brésil et Israël. A quelques jours de la signature, le Parlement suisse a annoncé à grand fracas la suspension de sa décision de ratification. Cette dernière avait pourtant joué un rôle de négociation important via son ambassadeur à l’ONU. Le Conseil Fédéral l’avait d’ailleurs approuvé en octobre après une « analyse très précise ». Pourquoi ce retournement ?

Parlementaires suisses consultés.  Jasmine Caye, sur son blog, explique que le Conseil fédéral a décidé de soumettre le texte au Parlement suite à trois votes négatifs au sein de commissions parlementaires. Or, dans sa rétrocession soudaine, le Parlement suisse semble avoir réagi aux sirènes d’une droite anti-migrants qui tentait de faire passer au même moment son initiative pour une primauté du droit suisse vis-à-vis des lois internationales. Hasard du calendrier ? Peter Maurer directeur du CICR et Louise Arbour, la représentante spéciale de l’ONU pour les migrations internationales, l’ont exprimé très clairement : le pacte n’est pas contraignant pour ses signataires mais représente un outil international décisif. Le journaliste Antoine Silacci au TJ 19h30 du 10.12.2018 précise encore: bien que non contraignant juridiquement, le pacte permettrait d’effectuer une pression politique ou diplomatique sur des pratiques jugées contraires. Des mécanismes de suivi seront ainsi établis aux niveaux nationaux et internationaux. Quels en sont les principes ?

Le pacte comme initiateur de principes directeurs.  Le cadre de réflexion de l’ONU a permis qu’une réflexion politique se fasse entre 192 États sur un sujet qui concerne la majorité de la planète. Grâce à ce contexte diplomatique, il permet de se détacher d’une approche uniquement sécuritaire de la migration. Le texte demande entre autres de mieux étudier le phénomène migratoire, de promouvoir une information indépendante et de qualité en apportant un soutien aux médias et de favoriser le dialogue avec les familles des personnes portées disparues. Il plaide pour des migrations légalisées qui permettraient de contrer les réseaux clandestins et les traversées périlleuses des frontières. La volonté d’action et de gestion communes des processus migratoires en sont les dénominateurs communs. Néanmoins, beaucoup d’organisations non étatiques et de mouvements de défense des droits humains s’en sont distanciés et un pacte alternatif a été élaboré par le Sommet des peuples. Pourquoi rédiger d’autres principes ?

Des manques importants.   Décryptant le contenu du pacte, La Cimade voit dans le texte onusien des empreintes des politiques anti-migrants menées par beaucoup d’États dans le monde. Le principe de non-refoulement en a été retiré. La condamnation d’enfermement des personnes et enfants migrants n’y figure pas. La coopération inter-étatique vise une plus grande sécurisation des frontières et de meilleures mises en œuvre des renvois. Également perplexe, le Sommet des peuples qui rassemble des mouvements sociaux du monde entier en dénonce le recul en matière de droits humains, de protection des migrants et de leurs familles. Une vision des personnes migrantes comme main-d’œuvre bon marché, criminalisées, resterait de mise. Constructif, le Sommet des peuples propose un pacte alternatif de solidarité et d’unité d’action pour les droits de toutes les personnes migrantes et réfugiées. Leur texte propose une nouvelle perspective fondée sur des idéaux humanistes et solidaires :

Sur cette base, nous proposons un Pacte Mondial de Solidarité et pour les Droits des Migrant.e.s qui rétablisse la primauté des droits des hommes, des femmes, des enfants et des peuples au-dessus des bénéfices et des intérêts des États, des oligarchies et des transnationales, et renforce le multilatéralisme et la démocratie des Nations Unies.

Un Pacte pour favoriser l’autodétermination et la souveraineté alimentaire des peuples, en rendant possible la construction d’économies locales durables, solidaires et justes, tout en reconnaissant aux populations leur droit à vivre dignement dans leurs territoires sans se voir obligées à aucun type de déplacement forcé.

Un pacte pour garantir également le droit inaliénable à la libre circulation de toutes les personnes, en promouvant la coopération régionale et internationale pour établir des politiques publiques protection de celles et ceux qui optent pour la migration.

Signera, signera pas? Renoncer à ratifier le pacte onusien non-contraignant qui dit vouloir comprendre les causes des mouvements migratoires sans pour autant proposer une approche radicalement différente de ce qui est déjà en place semble bien frileux. Ne pas le signer pourrait alors légitimer les peurs xénophobes et infondées. Et les désistements de ce type-là ont été largement commentés dans les médias. Trop peu, par contre, ont relaté les critiques issues de mouvements sociaux et d’associations de défense des personnes migrantes. Pourtant leur argumentation est pertinente. Elle montre que des éléments essentiels relevant du respect des droits fondamentaux des personnes restent absents de ce pacte mondial. Une nouvelle fois, en faveur d’un consensus inter-étatique, les valeurs de solidarité, autonomie et dignité, semblent avoir été mises de côté.

Giada de Coulon
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