Voix d’Exil | «Mon handicap est devenu une opportunité au lieu d’un obstacle»
Participer à la création d’une pièce puis la jouer: la plus belle expérience de ma vie !
Mamadi Diallo, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils, a participé à la dernière création d’Angélica Liddell « Una costilla sabre la mesa : Madre » au théâtre de Vidy à Lausanne.
Témoignage de Mamadi Diallo, publié sur le blog Voix d’Exil le 24 septembre 2019.
Depuis trois ans, je suis formateur bénévole à Palabres, une association lausannoise à but non lucratif qui œuvre auprès de personnes migrantes en situation de précarité économique et/ou psychosociale.
L’année dernière, La Marmite, qui se définit comme une université populaire et nomade de la culture, a pris contact avec Palabres. La Marmite collabore avec une association différente chaque année afin de réunir un groupe de personnes autour d’une thématique à développer ensemble. Ces groupes sont ensuite accompagnés dans leur travail par deux médiatrices. J’ai eu la chance de faire partie du groupe de Palabres et je suis resté en contact avec une des médiatrices, Anouk Schumacher, chargée de médiation culturelle au Théâtre Vidy-Lausanne.
Etre acteur pour une grande metteuses en scène d’Europe
En janvier de cette année, Anouk m’appelle pour me dire que la compagnie de théâtre d’Angélica Liddell est à la recherche de figurants malvoyants pour sa dernière création : « Una costilla sabre la mesa : Madre ». Anouk me demande si je suis intéressé par cette expérience. Je ne connaissais pas Angélica Liddell, mais j’avais toujours eu envie de monter sur scène pour ressentir les émotions que peuvent connaître les acteurs face au public. Alors, j’ai tout de suite accepté la proposition et tenté ma chance.
Anouk m’a mis en contact avec Valentin Augsburger, l’attaché au développement des publics et à la communication du théâtre de Vidy. Valentin était chargé du recrutement des figurants pour la compagnie d’Angélica Liddell. C’est donc à lui que j’ai transmis une photo et un texte qui fais part de ma motivation à faire partie de cette aventure. En attendant la réponse, j’en ai profité pour parler à des amis qui connaissaient déjà Angélica Liddell et ses créations. J’ai alors compris qu’elle est une grande metteuse en scène européenne, connue pour ses œuvres fortes qui sont toujours en lien avec l’intime et le cosmique. Après quelques recherches, j’ai été stupéfait par ses œuvres et j’ai compris que le fait de jouer sur scène avec elle serait rien d’autre qu’un grand honneur, si je venais à être choisi.
Un mois plus tard, je reçois une décision me confirmant que je répondais au profil recherché. J’ai sauté de joie, c’était une occasion inespérée de monter sur scène.
Jouer de son handicap
Une semaine avant les répétitions, tous les figurants et acteurs ont été invités à faire connaissance et à rencontrer Angélica qui nous a expliqué nos rôles respectifs.
Cette première rencontre, toutes les répétitions et les 7 représentations du spectacle ont eu lieu dans le nouveau Pavillon de Vidy, une magnifique structure en bois dont la salle est peinte en noir avec des gradins modulables en velours rouge et qui peut accueillir jusqu’à 250 spectateurs.
A notre entrée dans la salle, Angélica était présente, prête à nous accueillir ! Elle était remarquablement sympathique et admirable ! Connaissant un peu son vécu douloureux, j’avoue avoir été surpris par une personnalité si ouverte.
Une fois installée, Angélica nous raconte le pourquoi de ce spectacle et ce qu’il représente pour elle. Elle venait de perdre sa mère avec laquelle elle n’avait pas eu de bons rapports durant sa jeunesse. Mais avant le décès de sa mère, Angelica avait renoué des liens avec elle. Elle nous précise aussi que sa mère n’avait jamais vu aucun de ses spectacles et que pour lui rendre hommage : « je fais un spectacle auquel elle aurait voulu assister ». Comment ne pas admirer une telle intégrité ? Ensuite, elle explique à chacun des figurants son rôle respectif. C’est là que je me suis dit : « Enfin, mon handicap devient un atout ! ». Nous étions trois non-voyants à jouer le rôle de malvoyants qui voient au-delà du visible et qui sont les messagers des dieux de l’Olympe. On retrouve souvent de tels personnages dans les tragédies grecques et dans le théâtre classique.
« Un grand défi et une certaine crainte »
Angélica nous explique que lors d’un des deux passages sur scène, nous devions symboliquement toucher le ventre d’une femme enceinte. Cette interprétation représentait un grand défi pour moi et une certaine crainte aussi, je dois le dire. Mais le contact avec la troupe a été immédiatement excellent. Grâce à cela, j’ai pu m’ouvrir aux autres figurants. J’avais une certaine réticence parce que je n’avais encore jamais touché le ventre d’une femme enceinte, je ne savais pas comment j’allais réagir sur scène. C’est vrai que pour ce rôle très particulier, les deux femmes enceintes, figurantes comme nous, nous ont donné en toute confiance la possibilité de toucher leur ventre et de transmettre ainsi une intense émotion aux spectateurs, puisqu’il s’agissait de parler de vie et de maternité qui sont des éléments essentiels dans toutes les mises en scène d’Angélica Liddell. Dans ce spectacle elle parle à la fois de sa mère, de la moitié de l’humanité, c’est-à-dire toutes les femmes mais aussi de sa souffrance intime, celle ne pas avoir pu vivre l’expérience de la maternité.
Malgré mes craintes devant les défis de cette mise en scène exigeante, j’avoue que je n’ai pas eu de difficulté à jouer mon rôle, grâce au respect et à la confiance dont la troupe d’Angelica Liddell qui nous entourait à chaque instant.
C’est une extraordinaire chance qui s’est offerte à moi, j’en avais rêvé si souvent et, de plus, mon handicap devenait une opportunité et non plus un obstacle. J’étais sur la scène du théâtre de Vidy, figurant dans la nouvelle création d’une importante metteuse en scène européenne et une incroyable actrice, oui c’est vraiment la plus belle expérience de ma vie!
Mamadi Diallo
Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils