Le Temps | Pour chaque intégration réussie il y a deux gagnants: un réfugié et une société
Dans un article publié par Le Temps, Navid Samadi revient sur son expérience de la migration, et en particulier sur son intégration en Suisse. Il parle du travail formidable des groupes d’accueil des communes vaudoises, mais aussi des lenteurs, de la rigidité et des procédures confuses de la bureaucratie du canton de Vaud et de l’Unil. Exceptionnellement, Le Temps nous autorise a relayer ce témoignage sur notre site.
Article publié le 25 février 2020 sur le site du Temps. À consulter directement ici.
[OPINION] Quand un migrant arrive en Suisse, son intégration est déterminante. Venu d’Afghanistan, j’ai beaucoup reçu ici. J’aimerais un jour pouvoir faire une contribution significative à ce pays, s’il m’en laisse la possibilité. Quitter son lieu de naissance et d’enfance, s’en aller de la demeure de ses amis et de sa famille, partir de l’endroit qu’on connaît et qui nous connaît si bien, fuir sa maison dans des circonstances qui rendent un retour prochain invraisemblable: telle est mon histoire et celle de millions de réfugiés. Au cours de la dernière décennie, plus de 6 millions de personnes ont trouvé un abri et sont en vie et en liberté grâce à l’accueil des Européens. Beaucoup a été dit et écrit sur le parcours des migrants jusqu’à l’arrivée dans le pays d’accueil. Aujourd’hui, j’aimerais parler d’un autre aspect de l’asile à la lumière de mon expérience propre, à savoir la vie après l’arrivée, l’intégration. Ayant quitté l’Afghanistan à la suite d’un kidnapping et six mois de captivité et des menaces contre ma vie et ma famille, je suis arrivé en Suisse en 2016. A mon arrivée, j’ai bénéficié d’un engagement civil de la part des Suisses qui a dépassé mes attentes et qui m’a marqué durablement par son humanisme. Des groupes d’accueil des migrants poussaient comme des champignons dans les communes vaudoises. Les bénévoles d’un de ces groupes à Epalinges ont constitué mon premier point de contact avec la Suisse. Ils m’ont aidé à faire mes premiers pas dans un monde qui m’était alors inconnu. Bref, ils ont fait un travail formidable. Une administration qui freine Mais le travail de la société civile, aussi bien soit-il, a besoin d’être complété par l’administration, qui est, par sa nature bureaucratique, beaucoup moins flexible. Elle est moins apte à s’adapter à la personne. De ce fait, les besoins de la bureaucratie priment souvent les aspirations des personnes concernées. Les rêves, les objectifs, les compétences et l’expérience professionnelle des réfugiés sont très rarement reconnus. Il arrive même qu’on en fasse abstraction par une myopie bureaucratique qui favorise la solution la moins coûteuse et la plus rapide plutôt que des solutions un peu plus coûteuses en temps et en argent mais plus rentables à long terme. En outre, les différentes entités administratives manquent de cohérence et de coordination, ce qui rend la réalisation d’un projet d’intégration encore plus difficile. Mon expérience propre l’illustre bien. Il m’a fallu trois ans de tentatives malheureuses avant de pouvoir intégrer l’Université de Lausanne, alors que c’était mon projet dès le départ. L’Unil refusait de reconnaître ma maturité gymnasiale bien qu’obtenue dans une des meilleures écoles d’Afghanistan. Les gymnases vaudois ne pouvaient pas m’admettre parce que j’avais déjà une maturité et m’envoyaient vers l’université. Cercle vicieux. Pris entre plusieurs informations contradictoires, je ne me suis jamais senti aussi impuissant à l’égard de mon avenir et aussi aliéné de moi-même. C’est seulement au bout de trois ans et plusieurs refus que j’ai pu entrer à l’Unil en passant un examen préalable, préparé dans une école privée exceptionnellement et généreusement financée par l’Etat de Vaud. Je viens de finir le premier semestre à HEC Lausanne avec une moyenne générale de 5,8 (sur 6). L’information circule mal L’Unil met en place un certain nombre de dispositifs pour les réfugiés qui sont loin d’être suffisants. En plus, l’information circule mal, et on ne sait pas à qui s’adresser pour des renseignements. Je connais plusieurs personnes qui ont dû renoncer à un projet d’études supérieures notamment à cause de la difficulté d’y accéder, alors qu’ils avaient le bon profil. D’autres finissent par quitter le canton de Vaud pour étudier à Genève où il y a un programme qui vise spécifiquement les réfugiés, ou dans d’autres cantons romands. Ainsi le canton de Vaud perd les individus de haut potentiel parmi les réfugiés. L’initiative de l’Unil la plus susceptible de faciliter l’accès des réfugiés est la reconnaissance de l’attestation sur l’honneur, pour les documents scolaires manquants. Malheureusement, le lien y relatif sur le site de l’Unil renvoie à la page d’accueil du site des immatriculations. Ainsi les informations restent dans les ténèbres. Pour le pays d’accueil, l’intégration est certes coûteuse, mais il s’agit d’un investissement dans des ressources humaines avec un rendement sur plusieurs décennies. Les requérants d’asile d’aujourd’hui sont de potentiels futurs contribuables et citoyens. Les habiliter à atteindre le maximum de leur potentiel revient à avoir une société plus forte et plus dynamique. De ce point de vue, la réussite des migrants contribue au bien-être de la société tout entière. Je voudrais terminer en remerciant la Suisse et les Suisses. J’ai beaucoup reçu dans ce pays. J’aimerais un jour pouvoir faire une contribution significative à ce pays. L’importance de cette contribution dépendra du degré de réussite de mon intégration. Navid Samadi, 22 ans, étudie à HEC Lausanne. Je suis coprésident de l’association Unil sans frontières.Pour chaque intégration réussie il y a deux gagnants: un réfugié et une société
La dernière édition de la revue Vivre Ensemble consacre un dossier à la formation des réfugié-e-s.