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Notre regard

Témoignage | En quarantaine car vulnérable, il reçoit une décision Dublin

En arrivant en Suisse, j’imaginais enfin pouvoir poser mes valises. Je ne pensais pas avoir de problème avec les accords de Dublin. Je n’imaginais pas non plus le bruit et l’agressivité régnant dans le centre pour réfugiés dans lequel j’ai été placé. C’était comme revenir dans le contexte violent de mon pays. Ensuite, j’ai été transféré dans un bâtiment avec des familles et des personnes mineures. C’était plus calme et je m’y suis senti plus en sécurité. J’aidais à la cuisine tous les jours pour garder mon esprit occupé. Je ne voulais surtout pas devenir dépendant de médicaments contre le stress.

@artkoshm

Puis le coronavirus est arrivé. Les gens ici viennent de partout, bougent beaucoup et on ne sait pas qui a le virus ou pas, car certains ne présentent pas de symptômes. Cela me fait peur car je souffre d’asthme et de souffle court. Quand j’ai des crises, cela dure au moins un mois. J’ai donc commencé à porter des gants, à me laver les mains dès que je touchais quelque chose et à porter un masque. Je pense qu’attraper le virus serait pour moi une condamnation à mort. Plus je lis dessus, plus je pense que le monde arrive à sa fin. Mais je fais de mon mieux pour dépasser cette pensée. Je me dis: « t’es venu de si loin, t’as échappé au danger, t’as cherché la sécurité, la liberté. T’as tellement souffert, tu peux pas mourir comme ça du virus ! »

 

Lorsque fin mars, mon colocataire a été testé positif au coronavirus, j’ai été placé en quarantaine, en tant que personne à risque, et j’ai dû arrêter toutes mes activités. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé seul dans une pièce 24h/24. J’ai vraiment pensé que j’avais attrapé le virus aussi. Quand le personnel de sécurité m’a apporté de la nourriture, ils l’ont posée au sol devant ma porte parce qu’ils ont dit que je pouvais être contaminé. Le premier soir, ils avaient même oublié de m’apporter de la nourriture. J’ai frappé plusieurs fois à ma porte fermée à clé, mais personne ne m’entendait. Je ne pouvais pas ouvrir la fenêtre non plus. Après avoir téléphoné à une amie qui a contacté le centre, ils m’ont apporté, à 21 h 30, des pâtes froides sans sauce dont la date d’expiration notée sur l’emballage plastique était dépassée de deux jours. J’ai alors presque perdu la raison.

La pratique du Monopoly comme stratégie de survie

Le lendemain, mon avocate m’a téléphoné et m’a annoncé que j’avais reçu une décision (de renvoi) Dublin France. Je ne savais pas quoi penser sur le moment, mais les larmes ont commencé à couler tout de suite sur mon visage. Je me suis dit: « ça recommence». J’avais essayé si dur de m’en sortir, mais ça ne fonctionnait pas. J’ai pleuré toute la journée. Je ne veux pas retourner dans la rue en France. Et cette situation avec le virus m’effraie encore plus. Mon avocate m’a dit qu’elle allait faire recours. Cela m’a rassuré un peu.

Ensuite les choses se sont améliorées. La nourriture était meilleure, la porte a été coincée avec une poubelle: je pouvais donc entendre et voir ce qui se passait à l’extérieur. Durant cette période, j’ai regardé beaucoup de cartoons pour m’occuper la tête et me faire rire. Avant la quarantaine, j’allais à des consultations en psychiatrie chaque semaine, mais tout s’est arrêté ensuite. Mon avocate a demandé à l’infirmerie la poursuite de la prise en charge par téléphone, mais pour le moment rien n’a été mis en place. Ils disent être trop occupés.

Après environ une semaine, j’ai été transféré dans le bâtiment où je vivais avant, mais dans une zone spéciale pour les personnes vulnérables. J’y suis depuis plus de deux semaines. C’est mieux: il y a des gens avec qui je peux parler, même s’ils n’en ont pas toujours envie. Nous sommes 7. Ils nous autorisent à sortir une heure par jour hors du centre. Je mets alors un masque. J’en ai reçu plusieurs depuis peu. Les seules visites que nous avons sont celles des gens de l’ORS qui nous apportent de la nourriture et celles des infirmières une fois par jour qui nous prennent le pouls et la température. Elles n’ont pas le temps de rester discuter. Le temps est long.

J’ai découvert le jeu du Monopoly. J’étais sceptique quand on m’a proposé d’y jouer, mais j’ai dit oui. Ils m’ont expliqué les règles. Puis très vite, je les ai tous battus. J’y joue depuis au moins deux fois par jour, à chaque fois pendant 2-3 heures. Quand je joue, je suis concentré sur la stratégie, donc pas sur mes autres problèmes.

Je suis une personne très active en temps normal. Je marche beaucoup, je danse, je nage et je ne reste jamais longtemps à la maison. Juste avant d’arriver en Suisse, j’ai été enfermé pendant deux mois dans un appartement. La quarantaine me rappelle cet épisode. Je sais qu’il est plus sûr pour ma santé de rester là. Je pense que j’y serai jusqu’à la fin de la crise ou jusqu’à mon transfert ailleurs. Mais je ne sais pas si je pourrai rester en Suisse.

J’essaie de continuer à rire et à faire rire les gens.

JJ, 20 ans.

TÉMOIGNAGE RECUEILLI PAR LOUISE WEHRLI

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