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CSDM | Torture systématique des migrants reconduits en Libye : quel est le rôle de l’Italie ?

Le Centre Suisse pour la Défense des Droits des Migrants (CSDM) a demandé au Comité des Nations unies contre la torture d’ouvrir une enquête sur le rôle de l’Italie dans la torture systématique des migrants reconduits en Libye. Dans sa requête, il soutient que la stratégie de l’Italie consistant à sous-traiter le refoulement des migrants à la Garde côtière libyenne (LCG) viole les engagements de l’Italie au titre de la Convention contre la torture. Son argumentaire s’appuie notamment sur le fait que depuis de nombreuses années, des rapports fiables font état de violations flagrantes des droits de l’homme des migrants détenus en Libye.

Le Centre Suisse pour la Défense des Droits des Migrants (CSDM) a publié le 26 juin 2020 sur son site  sa soumission au Comité des Nations unies contre la torture (CAT ) en anglais. Il a également publié sur son site un communiqué de presse relatif à cette soumission ( anglais/ français/ allemand/ italien). Nous le reproduisons ci-dessous:

Demande d’une enquête des Nations Unies sur le rôle de l’Italie dans la torture systématique des migrants reconduits en Libye

Communiqué de presse

(Genève 26 juin 2020) Le Comité des Nations unies contre la torture devrait ouvrir une enquête officielle en vertu de l’article 20 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants concernant le comportement de l’Italie en Méditerranée centrale qui conduit à la torture, au viol et au travail forcé de milliers de réfugiés et de migrants refoulés vers la Libye.

Dans notre requête, nous soutenons que la stratégie de l’Italie consistant à sous-traiter le refoulement à la Garde côtière libyenne (LCG) viole les engagements de l’Italie au titre de la Convention contre la torture.

Depuis de nombreuses années, des rapports fiables font état de violations flagrantes des droits de l’homme des migrants détenus en Libye. Ces rapports émanent des organes des Nations unies et sont repris par les ONG actives dans le domaine des droits de l’homme. Le Comité contre la torture a lui- même constaté que la coopération de l’Italie avec la Libye facilite la torture des migrants par des acteurs libyens. Des responsables gouvernementaux italiens et européens ont reconnu publiquement que cela se produisait. Plusieurs organismes internationaux, dont l’UNHCR et l’OIM, ont demandé l’arrêt immédiat de la reconduite en Libye des migrants secourus.

Dans notre soumission, nous démontrons qu’en ramenant les migrants, la LCG agit au nom de l’Italie. Plus précisément, elle fonctionne grâce au soutien matériel et logistique complet de l’Italie, qui comprend des fonds, des navires, des formations et des structures de commandement et de contrôle. La surveillance navale et aérienne en temps réel dans la Méditerranée centrale est assurée par l’Italie directement et par le biais des programmes de l ‘UE auxquels elle participe. La coopération entre l’Italie et la Libye est régie par un traité bilatéral signé en 2017, dont l’objectif déclaré est « d’endiguer l’immigration clandestine » grâce à la mise à disposition de ressources italiennes aux « institutions libyennes chargées de la lutte contre l’immigration clandestine » telles que les « garde côtes » (article 1 du Protocole d’accord).

Sans ces ressources, la LCG ne serait pas capable d’intercepter les bateaux des migrants, ni même de les localiser dans sa propre zone SAR (Search and Rescue). Grâce à cette coopération, l’Italie a entièrement externalisé son contrôle frontalier à la Libye. Cela a permis d’intercepter et de reconduire de force environ 50 000 personnes dans des camps de torture libyens depuis le début de la coopération.

Le passage des « push back » impliquant la propre marine italienne et qui ont été déclarés illégaux par la CEDH dans l’arrêt Hirsi Jamaa -aux « pull-back », où l’Italie sous-traite la même activité aux Libyens, constitue une tentative pure et simple d’éviter ses responsabilités en vertu du droit relatif aux droits de l’homme.

Cependant, comme nous le démontrons dans notre soumission, l’implication de l’Italie à la mission de la LCG est si complète que l’Italie est elle-même devenue responsable de la conduite de la LCG en vertu des principes applicables du droit international. En raison du rôle décisif de l’Italie sur tous les aspects du programme d’interdiction de la Libye, l’Italie exerce un contrôle de facto sur les sur les migrants en Méditerranée centrale et ses actions entrent donc dans le champ d’application juridictionnel de la Convention contre la torture à laquelle l’Italie est partie.

Le Comité contre la torture est chargé de superviser le respect par les États de la Convention contre la torture, notamment en ouvrant une procédure d’enquête formelle en vertu de l’article 20 concernant les situations qui révèlent une pratique systématique de la torture par un État partie. À la lumière des informations soumises, nous demandons instamment au Comité d’ouvrir une enquête qui établira les faits et les responsabilités juridiques de l’Italie, et nous recommandons la cessation immédiate de toute collaboration avec les autorités migratoires libyennes impliquées dans des abus à l’encontre de réfugiés et de migrants.

Boris Wijkström, directeur : « L’externalisation du contrôle coercitif des migrations vers des pays tiers est une approche de plus en plus courante adoptée par les États dans le monde entier. L’enquête de la Commission sur cette question créerait un précédent important en précisant aux États qu’ils ne peuvent pas contourner le droit international en sous-traitant les violations des droits de l’homme à d’autres pays – même sous le couvert d’accords de gestion coopérative des migrations- et qu’ils peuvent être et seront tenus responsables de leurs actes. Nous espérons que notre demande officielle contribuera à mettre un terme à une pratique qui entraîne des souffrances horribles et inutiles ». Contact : +41 (0)22 807 07 14 / bwijkstroem@centre-csdm.org

Ousman Noor, avocat : « L’abus délibéré et systématique d’un grand nombre de personnes vulnérables aux frontières de l’Europe est une tache sur notre conscience collective et est en contradiction flagrante avec les efforts internationaux visant à mettre fin à la torture. Par son financement et sa collaboration avec des milices violentes, irresponsables et dangereuses telles que la LCG, l’Italie a facilité les abus innommables de milliers de personnes cherchant sécurité et refuge. Les preuves sont maintenant accablantes et le Comité contre la torture doit entreprendre une enquête pour aider à mettre fin à cet état de fait brutal « .  Contact : +41 (0)22 807 07 14 / onoor@centre-csdm.org

Le Centre Suisse pour la Défense des Droits des Migrants (CSDM) est une organisation à but non lucratif fondée en 2014 et basée à Genève, en Suisse. Notre mission est de promouvoir le respect des droits fondamentaux des réfugiés et des migrants par une défense stratégique devant les organismes internationaux de défense des droits de l’homme, en particulier les organes de traités des Nations et la Cour européenne des droits de l’homme.