Permanence juridique MNA/RMNA | Lettre ouverte au Conseil D’État genevois
Dans une nouvelle lettre au Conseil d’État, les avocat-e-s et juristes de la Permanence pour les mineur-e-s non accompagné-e-s et les requérant-e-s d’asile non accompagné-e-s dénoncent la situation dans laquelle se trouvent actuellement les (R)MNA et l’inaction des autorités genevoises face à cette situation. Ils partagent leurs inquiétudes notamment face à la mise en place d’une politique répressive et discriminatoire à l’encontre de ces jeunes. Suite à l’énoncé de constats alarmants vis-à-vis de leur hébergement, des contrôles fréquents de la police ou en lien avec leurs besoins en biens de première nécessité, ils et elles formulent des demandes d’amélioration sur ces points spécifiques.
La lettre originale, faisant figurer les noms des signataires, adressée par la Permanence pour les mineur·e·s non accompagné·e·s et les requérant·e·s d’asile non accompagné·e·s a été envoyée le 21 janvier 2021. Elle peut être téléchargée ici. Nous reproduisons ci-dessous l’essentiel de l’argumentaire et des demandes figurant dans leur lettre.
Lettre ouverte au Conseil d’État de la République et canton de Genève concernant les jeunes personnes mineures non accompagnées
Par la présente, nous faisons suite à nos lettres ouvertes du 24 décembre 2019, 27 avril 2020 et 3 juillet 2020 ainsi qu’à vos réponses du 4 mai 2020 et du 19 août 2020 qui a retenu toute notre attention. Force est de constater que la situation que vous décrivez diffère grandement de celle observée lors de nos permanences hebdomadaires.
Cela fait maintenant plus d’un an que chaque semaine, nous, avocat-e-s et juristes de la Permanence pour les mineur-e-s non accompagné-e-s et les requérant-e-s d’asile non accompagné-e-s (Permanence MNA/RMNA), accueillons plusieurs enfants et jeunes afin de les conseiller et les défendre. Avec la crise sanitaire, et d’autant plus durant la période de semi-confinement au printemps 2020, nous avons pu constater une forte hausse de ce besoin de protection, signe que leur situation déjà difficile auparavant n’a fait que de se précariser davantage avec la pandémie. Malgré nos nombreux appels aux autorités et institutions, leur situation reste précaire. Par conséquent, nous nous voyons dans l’obligation de réitérer nos inquiétudes quant à la situation de ces enfants et jeunes, ainsi que nos requêtes pour qu’ils-elles puissent mener une vie non seulement digne, mais aussi conforme aux obligations constitutionnelles et internationales de la Suisse.
Contrôles et arrestations par la police et nouvelle politique criminelle du canton de Genève
Nous regrettons de constater que la question des contrôles et arrestations par la police, évoquée dans notre dernière lettre, n’a pas retenu votre attention dès lors qu’aucune suite n’y a été donnée. Elle est d’autant plus importante que ces contrôles et arrestations se sont intensifiés depuis le début de l’été 2020 et la création de l’unité policière Groupe vols et agressions de rue (GVAR) afin de cibler explicitement les « jeunes hommes originaires d’Afrique du Nord »[1], étant précisé qu’aucune communication officielle au sujet de la création de cette unité ni de son fondement juridique n’a été faite. Nous constatons que les contrôles d’identité, souvent accompagnés de comportements humiliants de la part des agent-e-s de police, sont systématiques et sont devenus le quotidien des jeunes personnes mineures non accompagnées.
Il s’agit là de pratiques discriminatoires et de profilage racial, qui sont contraires à l’interdiction des discriminations et par conséquent contraires au droit suisse ainsi qu’au droit international[2].
Cela d’autant plus que les agent-e-s de police doivent se montrer exemplaires, incarner la dignité et le respect des personnes (art. 1 al. 2 LPol/GE) et veiller à respecter les droits fondamentaux (art. 45 al. 1 LPol/GE) dans l’exercice de leur fonction.
Ces comportements discriminatoires ressortent d’ailleurs également de la pratique du Commissaire de police comme cela est démontré par les décisions et prises de position rendues en matière de mesures de contrainte administratives, tels que le prononcé systématique d’interdictions d’entrées ou de territoire notamment.
Il convient en outre de souligner que certain-e-s jeunes ont été empêché-e-s de se rendre auprès de notre Permanence, en raison de comportements de policier-ère-s assimilables à du harcèlement aux alentours du local utilisé pour dispenser les permanences juridiques. Nous rappelons ici que l’accès à la justice, comportant notamment le droit à une consultation et une assistance juridique, est un droit fondamental qui ne saurait leur être nié. Ainsi, si cette pratique venait à devenir systématique, il nous conviendra de la considérer comme une atteinte au droit à l’accès à un-e avocat-e en tant que prévenu-e, tel que garanti notamment par l’art. 29 al. 3 Constitution fédérale (Cst.) et l’art. 6 al. 3 let. c Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et les instances compétentes seront saisies en ce sens. Tant ces comportements, que l’existence même de l’unité GVAR – qui reposent sur un motif discriminatoire et dont le but même est fondé sur le profilage racial et une présomption de criminalité en raison de l’origine des jeunes personnes migrantes non accompagnées – sont contraires à tous les principes d’un État de droit, à la Constitution suisse et à la CEDH et doivent immédiatement cesser.
Enfin, nous avons constaté que le 17 décembre 2020, Monsieur le Conseiller d’État en charge de la sécurité Mauro Poggia, Monsieur le Procureur général Olivier Jornot et Madame la Commandante de la Police Monica Bonfanti ont validé ces pratiques, en annonçant qu’une des cibles prioritaires de la politique criminelle du canton de Genève pour les années à venir serait les jeunes personnes migrantes non accompagnées[3]. Une partie importante des moyens de la police et du Ministère public sera ainsi utilisée afin de traquer « les faux mineurs non accompagnés »[4] qui sont « environ 150 à Genève […] sans documents d’identité, originaires le plus souvent d’Afrique du Nord »[5]. Nous déplorons cette politique mise en place qui ne fera qu’aggraver la situation de précarité des jeunes, les stigmatiser et les mettre encore plus en marge de la société. Elle anéantira ainsi les efforts des divers-e-s acteur-rice-s de la société civile qui œuvrent depuis plus d’un an pour garantir une vie digne à ces jeunes, tel que le prévoit la Constitution fédérale, tout comme les efforts de la Permanence qui ne cesse d’appeler à une meilleure prise en charge pour ces jeunes. Plus encore, cibler une population sur la base de son origine ethnique et son appartenance sociale – comme le veut ce nouvel objectif de politique criminelle[6] – est prohibé par la Constitution fédérale (art. 8 al. 2 Cst.), la Constitution genevoise (art. 15 al. 2 Cst./GE) et le droit international (14 CEDH, art. 26 Pacte international relatif aux droits civils et politiques). Une telle pratique est en outre constitutive de profilage racial, également interdit par les instruments juridiques internes et internationaux[7]. Cette politique viole enfin le principe cardinal de la présomption d’innocence (art. 10 al. 1 CPP, art. 6 par. 2 CEDH, et art. 14 par. 2 Pacte international relatif aux droits civils et politiques) puisqu’elle définit les jeunes personnes migrantes non accompagnées comme des délinquantes et les présume comme telles, renversant ainsi le fardeau de la preuve et de l’innocence. Une telle politique discriminatoire est inacceptable de la part de la République et canton de Genève.
Dans ce contexte, nous réitérons nos requêtes et demandons à ce que le Conseil d’État enjoigne les agent-e-s de police :
(i) d’adopter un comportement et un langage adéquats en tenant compte de la minorité des personnes mineures non accompagnées auxquelles elles s’adressent ;
(ii) de cesser de procéder à la saisie des sommes d’argent détenues par les personnes mineures non accompagnées, souvent seul moyen de subsistance dont ils et elles disposent ;
(iii) de cesser de procéder à la saisie des téléphones portables détenus par les personnes mineures non accompagnées, unique moyen de contact avec le SPMi, les intervenant-e-s sociaux et les conseils juridiques vu l’absence de domicile fixe.
Nous requérons en outre :
(iv) que l’accès aux lieux dédiés à l’aide juridique, d’accueil et de soutien soit garanti, sans intervention policière ;
(v) d’ordonner la dissolution de la brigade GVAR ciblant spécifiquement les jeunes migrants non accompagnés ;
(vi) la mise en conformité de la politique criminelle avec le cadre légal suisse et international.
Il est également toujours essentiel de parvenir au plus vite à l’établissement d’une carte d’identité cantonale indiquant le statut de personnes mineures non accompagnées, et d’en informer la police, de manière à ce que les interpellations abusives puissent cesser. Une telle pratique est notamment en train de se démocratiser dans le canton de Zürich, avec la création de la City Card[8].
Hébergement
Nous prenons acte des efforts faits par le Conseil d’État et le SPMi dans ce domaine.
Néanmoins, ceux-ci ne correspondent pas aux faits auxquels nous sommes confronté-e-s chaque semaine, et encore moins à la situation relevée pendant la période de semi-confinement.
Nombreux-ses sont les jeunes qui se sont rendu-e-s à nos permanences afin d’obtenir de l’aide pour trouver un hébergement, le SPMi les ayant renvoyé-e-s à la rue « faute de place ». Certaine-s se sont ainsi vu-e-s contraint-e-s de se « déclarer » majeur-e-s afin de pouvoir dormir à l’abri notamment à la Caserne des Vernets, qui n’accueille que des personnes majeures. La situation est d’autant plus inquiétante que le froid hivernal persiste, la crise sanitaire s’intensifie à nouveau et le dispositif de lieux d’accueil d’urgence prévu à Genève, qui n’inclut par ailleurs pas un accueil pour mineur-e-s, se fragilise chaque jour.
Il convient de rappeler que d’après la Cour européenne des droits de l’homme, il appartient à l’État de protéger les personnes mineures non accompagnées se trouvant sur son territoire et de prendre les mesures adéquates, incluant leur hébergement et leur prise en charge, étant relevé que les laisser dans des situations de précarité serait considéré comme une violation des obligations positives découlant de l’interdiction des traitements dégradants (art. 3 CEDH)[9]. La faible proximité des jeunes avec le réseau institutionnel, ainsi que leur réticence à communiquer avec celui-ci ne peut en aucun cas justifier le défaut de protection[10]. Il s’agit d’une obligation de l’État, à qui il incombe de s’interroger et de trouver les moyens adéquats pour le faire en tenant compte des spécificités du cas[11].
Cette réticence s’explique par ailleurs par le fait que lorsque les jeunes se rendent aux permanences du SPMi, soit dans un lieu d’accueil et d’aide, ils-elles craignent d’être accueillie-s par des agent-e-s de police, comme ça a déjà été le cas lors d’une interpellation abusive et sans fondement de plusieurs jeunes le 28 mai 2020 au moment d’une permanence SPMi.
Une confiance dans la prise en charge par le SPMi s’avère ainsi difficile à instaurer. Il serait louable de garantir que ce lieu, qui a pour vocation de protéger les enfants et d’être l’espace de rencontres entre les jeunes et leur représant-e-s légaux-les, soit un lieu sûr pour toutes et tous.
Pour ces raisons, nous réitérons nos requêtes et demandons que le SPMi garantisse les éléments suivants :
(vii) que toutes les personnes mineures non accompagnées aient un logement ;
(viii) qu’aucune personne mineure non accompagnée ne soit expulsée des foyers ou des hôtels, cela même si l’âge de la majorité est atteint dans l’intervalle, à tout le moins jusqu’à la fin de la crise sanitaire ;
(ix) que les hôtels et tout autre lieu d’hébergement établissent des attestations en faveur des personnes mineures non accompagnées, mentionnant leurs noms, dates de naissance et lieux d’hébergement, comme le font déjà les foyers ;
(x) que les hôtels et les lieux d’hébergement proposent un accueil durant toute la journée.
Biens de première nécessité, nourriture et prise en charge médicale
Nous sommes au regret de constater que la nourriture fournie aux mineures non accompagnées n’est toujours pas délivrée en quantité suffisante, cela étant déjà le cas avant la crise sanitaire.
Cette situation n’a fait que s’intensifier et plusieurs associations se sont vues obligées d’organiser des distributions de nourriture pour les jeunes personnes non accompagnées afin de combler ce vide notamment les week-ends. Nous saluons cependant les efforts fournis dans la prise en charge médicale des personnes mineures non accompagnées, bien que la prise en charge pour le suivi psychique — très importante au vu des parcours migratoires que certaine- s de ces jeunes ont pu traverser — reste lacunaire.
Ainsi, nous réitérons nos demandes et prions le SPMi de s’assurer que les éléments suivants sont garantis :
(xi) que les personnes mineures non accompagnées aient accès aux soins médicaux, y compris psychiques ;
(xii) que de la nourriture de qualité adéquate et variée en suffisance soit fournie tous les jours de la semaine et durant le week-end, et qu’elle soit compatible avec les pratiques religieuses respectives ;
(xiii) que des biens de première nécessité soient fournis en suffisance.
Il convient de souligner enfin, d’autant plus avec la crise sanitaire qui s’intensifie, l’appel du
Comité des droits de l’enfant des Nations Unies demandant aux États de s’assurer que le bien de l’enfant soit une considération primordiale dans les réponses à la pandémie et à protéger en particulier les enfants dans des situations de multiples vulnérabilités tels que les enfants migrant-e-s[12]. Les divers comités des Nations Unies en lien avec les droits humains ont d’ailleurs exhorté les gouvernements à « prendre davantage soin des personnes particulièrement vulnérables aux effets de COVID-19, notamment […] les réfugiés, les demandeurs d’asile et les migrants, les personnes privées de liberté, les sans-abri et les personnes vivant dans la pauvreté »[13]. Il ne faut en effet pas oublier qu’il s’agit tout d’abord d’enfants extrêmement vulnérables en raison de l’absence de soutien familial notamment[14]. Leur statut d’enfant doit ainsi prévaloir sur leur statut de personne étrangère en situation irrégulière[15]. Leur minorité doit d’ailleurs cesser d’être sans cesse remise en cause par les autorités, et « en cas d’incertitude persistante, le bénéfice du doute doit être accordé à l’intéressé, qu’il convient de traiter comme un enfant »[16]. Nous espérons donc que le Conseil d’État prendra enfin ses responsabilités en matière des engagements nationaux et internationaux pris par la Suisse et qu’il saura mettre un terme à ces violations incessantes des droits fondamentaux des personnes mineurs non accompagnées.