Regroupement familial | Aux enfants menacés, le silence du SEM
Élisa Turtschi
Aline a fui son pays dans l’urgence. Arrivée en Suisse en 2017, elle devra batailler 4 ans pour se voir reconnaître ses motifs d’asile et un statut de réfugié lui permettant de faire venir ses enfants en Suisse. Or, sa demande de regroupement familial est toujours sans réponse. Une procédure kafkaïenne témoignant d’une négligence coupable des autorités.
Comme beaucoup d’autres personnes fuyant des violences, l’urgence et les risques du départ avaient contraint Aline à laisser derrière elle ses deux enfants alors âgés de 9 et 11 ans. Issus d’un mariage forcé, les enfants n’ont jamais été pris en charge par leur père lequel a fondé une nouvelle famille de son côté. Au moment du départ, Aline n’a d’autre choix que de les confier à une amie, le temps de se mettre en sécurité.
Lorsqu’elle demande l’asile en Suisse en juillet 2017, Aline s’enquiert immédiatement des possibilités de faire venir ses enfants. On lui répond qu’il faut d’abord que le SEM statue sur sa demande d’asile. Huit mois passent avant que celui-ci se prononce. Et malheureusement, la décision est négative. Le SEM relève en effet des contradictions dans le récit d’Aline, en raison de quoi il renonce à l’examen des moyens de preuves qu’elle a déposés à l’appui de sa demande et qui attestent des violences subies. Peu importe donc qu’Aline ait été arrêtée et battue par la police, qu’un mandat d’arrêt ait été émis à son encontre et qu’une version originale de l’un des documents probants, confirmant l’histoire d’Aline, ait été transmise au SEM par le consulat suisse lui-même.
En avril 2018, Aline dépose un recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF). Le SEM décide alors d’annuler sa décision et de reprendre l’instruction de son dossier. Le recours au TAF devient alors sans-objet et est classé. Mais ce qui avait les apparences d’une bonne nouvelle devient rapidement un calvaire: le SEM ne donne tout simplement plus signe de vie et Aline se retrouve coincée dans une attente indéterminée.
Un an et demi plus tard, Aline est toujours sans nouvelles. En décembre 2019, suite à de multiples courriers de relance, le SEM répond qu’il « se prononcera dès que possible sur la demande d’asile en suivant l’ordre de priorité interne » (sic !). Il prie le mandataire et Aline de bien vouloir, dans l’intervalle, faire preuve de patience !
Or, pendant ce temps, Aline apprend le décès de l’amie qui gardait ses enfants. Elle trouve une solution d’urgence pour les reloger, en louant une maison sur Internet. Mais les enfants se trouvent seuls et exposés à toutes sortes de dangers. Un jour, la fille d’Aline est agressée sexuellement devant son petit frère par un inconnu, entré par effraction. Suite à ce viol, elle devra subir un avortement clandestin. Aline, dévastée, en informe directement le SEM, rapport médical à l’appui. Au vu de l’urgence de la situation, elle lui demande de bien vouloir accélérer l’instruction de sa demande.
Le 13 février 2020, toujours sans aucune nouvelle, le mandataire envoie un ultime courrier par lequel il menace de recourir contre le SEM pour déni de justice.
Enfin, en date du 6 mars 2020, le SEM rend sa nouvelle décision. Celle-ci tombe comme un couperet: si le SEM admet les risques encourus par Aline dans son pays d’origine, notamment l’emprisonnement à vie, il décrète par un raisonnement obscur que rien ne dit que le risque existait réellement avant sa fuite du pays. Par conséquent, l’asile lui est refusé[1]Le « motif postérieur à la fuite » est un critère d’exclusion de la loi sur l’asile. Les personnes reçoivent le statut de « réfugié·e admis à titre provisoire ». Aline obtient une admission provisoire (permis F) assortie de la qualité de réfugiée, un statut hybride qui diffère de l’asile sur beaucoup de points, et notamment par le fait qu’il n’ouvre pas de droit immédiat au regroupement familial.
Aline forme un nouveau recours auprès du TAF. En parallèle, elle dépose une demande de visa humanitaire pour ses enfants auprès du SEM. À l’appui de sa demande, elle fournit un rapport rédigé par une travailleuse sociale de son pays d’origine lequel alarme sur l’état des enfants: déscolarisés, isolés, en détresse psychologique, ils sont exposés à de nombreux dangers. Le rapport souligne la nécessité urgente de réunir les enfants avec leur mère. Mais, à peine 13 jours après le dépôt de la demande de visa, celle-ci est rejetée.
En date du 7 avril 2021, le Tribunal rend son arrêt. Il y reconnaît le droit d’Aline à obtenir l’asile. Et il intime au SEM de lui octroyer un permis B réfugiée. C’est une victoire et un soulagement immense pour Aline, qui peut enfin bénéficier du droit au regroupement familial et retrouver ses enfants. Elle en fait la demande aussitôt.
Or, à nouveau, loin de considérer l’urgence de la situation et l’état d’anxiété profond de la mère comme des enfants, le SEM n’a toujours pas approuvé la demande de regroupement familial.
Il aura fallu quatre ans pour qu’Aline puisse faire reconnaître son histoire et que le SEM, contraint par le Tribunal, lui octroie l’asile. Et à l’heure actuelle, ses enfants sont toujours livrés à eux-mêmes, dans l’attente d’une autorisation d’entrée en Suisse. Ces années de séparation, aux conséquences lourdes, auraient pu – auraient dû – être évitées. La seule responsabilité en revient au SEM, lequel ne manque pourtant jamais de vanter ses succès en matière d’accélération des procédures et sait faire preuve de diligence lorsqu’il s’agit d’ordonner des renvois.
Notes
↑1 | Le « motif postérieur à la fuite » est un critère d’exclusion de la loi sur l’asile. Les personnes reçoivent le statut de « réfugié·e admis à titre provisoire » |
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