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Notre regard

Convention d’Istanbul : sa mise en application se fait toujours attendre !

Danielle Othenin-Girard

La Convention d’Istanbul constitue l’accord international le plus complet pour la prévention et la lutte contre toutes les formes de violences basées sur le genre. Elle implique notamment un devoir de protection à l’égard de toutes les femmes, quel que soit le statut ou pays de provenance. Signée en 2011 par quasiment tous les pays européens, la Suisse l’a ratifiée en 2017 avec entrée en vigueur le 1er avril 2018. Qu’en est-il aujourd’hui de sa mise en application ? Le Réseau Convention d’Istanbul a publié en juin 2021 un « rapport alternatif de la société civile » apportant de nombreux éléments d’analyse et de revendications sur la mise en oeuvre de ce traité.

Dessin réalisé pour la campagne Feminist Asylum

Dès l’entrée en vigueur de la Convention, ce réseau s’est fortement développé. Son atout : réunir les compétences et expertises d’une centaine d’ONG, d’associations de terrain et de services spécialisés œuvrant dans les domaines des droits humains, de la violence, de l’égalité des genres, LGBTIQA+, du handicap, de la vieillesse, des enfants, de la migration et de l’asile. D’où la possibilité de travailler dans une « perspective intersectionnelle », indispensable dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Tout au long du rapport, la priorité de la réflexion se porte sur une application inclusive et sans discrimination du texte de la convention, ce qui répond aux exigences de l’art.4 CI. Une approche qui revêt une importance toute particulière pour les femmes réfugiées.

Deux articles de la Convention concernent directement les demandes d’asile fondées sur le genre et la question du non-refoulement :

Art. 60, al.3 La CI demande aux États parties de « développer des procédures d’accueil sensibles au genre et des services de soutien pour les demandeurs d’asile, ainsi que des lignes directrices fondées sur le genre et des procédures d’asile sensibles au genre, y compris pour l’octroi du statut de réfugié et pour la demande de protection internationale ».

Art. 61, al.2 « Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que les victimes de violence à l’égard des femmes nécessitant une protection, indépendamment de leur statut ou lieu de résidence, ne puissent en aucune circonstance être refoulées vers un pays où leur vie serait en péril ou dans lequel elles pourraient être victimes de torture, ou de peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

En réponse à ce cadre légal qui sans équivoque élargit les motifs donnant droit à la protection internationale aux violences fondées sur le genre, le rapport alternatif dresse une liste détaillée de toutes les améliorations à apporter urgemment tant dans le domaine juridique que celui des conditions d’accueil, de l’encadrement social, de l’accès aux soins médicaux. Si plusieurs de ces revendications ont déjà été émises à maintes reprises par les milieux de défense du droit d’asile, cette étude très complète contribue à donner une large crédibilité aux actions de la société civile.

Parmi ces demandes :

  • Pouvoir disposer de données statistiques (actuellement le SEM n’en produit aucune) sur les motifs des demandes d’asile liées au genre, la pratique de décision, l’identification des victimes de violences, avec une collecte de données séparées pour les personnes requérantes LGBTIQA+.
  • Donner aux femmes réfugiées une information systématique sur les motifs de fuite liés au genre, sur leurs droits, sur les centres de consultation pour les différentes formes de violences. Cette information doit être donnée à toutes les étapes de la procédure et dans les différents lieux que côtoient les femmes.
  • Modifier la pratique en matière d’examen de la vraisemblance et de l’exigence de preuves en regard des motifs de fuite et des parcours migratoires spécifiques aux femmes. « Une meilleure et plus ample application du critère des pressions psychiques insupportables au sens de l’art.3 LAsi est nécessaire ». De plus, dans le contexte actuel de l’instrument juridique, « les personnes concernées par des actes de persécution liée au genre doivent être reconnues de manière systématique comme groupe social pour que le droit à l’asile leur soit accordé ».
  • Organiser une formation régulière et obligatoire à la question genre pour toutes les personnes intervenant dans la procédure d’asile (audition, traduction, accompagnement social) ainsi que pour les responsables de l’encadrement, de la sécurité et de la santé dans les centres d’asile. Rendre obligatoire la présence de femmes durant les auditions de femmes et la possibilité pour les personnes LGBTIQA+ de choisir.
  • Créer des lieux d’hébergement séparés pour les hommes et les femmes (sauf pour les familles), des chambres individuelles verrouillables pour les célibataires ou femmes seules avec leurs enfants, des salles de séjour exclusivement réservées aux femmes.
  • Faciliter l’accès aux soins médicaux physiques et psychiques, ainsi qu’à des soutiens spécialisés. Donner des consignes claires aux assistantes et assistants sociaux.
  • Procédure Dublin : renoncer à tout transfert susceptible d’être préjudiciable en raison de la possible mise en danger dans l’État Dublin ou en raison de l’état physique et psychique (exigence d’un certificat médical préalable à toute décision de transfert) dans les cas de traite d’êtres humains et de personnes réfugiées concernées par la violence (application de la clause de souveraineté).

À ces revendications s’ajoute une prise de position par rapport au statut de l’admission provisoire. En raison des critères très élevés pour conclure à un renvoi inexigible, de nombreuses victimes de violences de genre ne peuvent bénéficier de ce statut du fait d’une non-prise en compte de ces violences. Le rapport demande d’« assouplir les critères concrets dans l’évaluation des obstacles au renvoi en prenant mieux en compte par exemple l’impact psychique des violences de genre ». Il s’attaque aussi à la précarité du statut : « Il faut changer le statut d’admission provisoire pour le rendre plus stable, changer son nom, pérenniser le droit et l’accès facilité à la transformation vers un permis B, supprimer les inégalités inhérentes à ce statut (regroupement familial, aide sociale, liberté de mouvement) et renforcer l’accès au marché du travail ».

À l’appui de ces constats et demandes de changements, on ne peut que souhaiter que la campagne menée actuellement autour de la pétition européenne lancée par la coalition Feminist Asylum puisse devenir un réel moyen de pression.