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Notre regard

Bonnes nouvelles | Après quatre ans et demi, la fin d’un calvaire

Elisa Turtschi

Quand elle a pu les prendre dans ses bras, c’est comme si le souffle lui était revenu. Aline, dont nous avions parlé dans notre édition d’octobre (voir Regroupement familial | Aux enfants menacés, le silence du SEM ), a enfin retrouvé ses enfants. Il aura fallu deux recours contre les décisions du SEM, d’innombrables courriers de relance, une demande de visa humanitaire, un rapport de situation soulignant la détresse des enfants, la mobilisation de trois juristes, d’une assistante sociale dans le pays d’origine, du Service social international, sans oublier l’important soutien moral et financier de nombreuses amies, pour que la famille soit réunie. Mais surtout, il lui aura fallu une patience immense : 4 années et demie très exactement.

Aline raconte que, paradoxalement, l’arrivée de ses deux enfants l’a prise par surprise. Elle ne s’y attendait plus. C’est que sa procédure d’asile a connu plusieurs rebondissements avant d’aboutir, en avril 2021, sur une décision positive (voir Regroupement familial | Aux enfants menacés, le silence du SEM). Et le SEM, malgré les souffrances causées par la lenteur de la procédure d’Aline, laissant les enfants dans un grave état de dénuement et de détresse psychologique, a poursuivi dans sa lignée jusqu’au bout. En effet, dès que l’asile lui a été octroyé par le Tribunal administratif fédéral, Aline a immédiatement demandé le regroupement familial auquel elle avait enfin droit. Mais, loin de traiter la demande avec diligence, le SEM laissa passer six mois supplémentaires avant d’y répondre, alors même qu’il s’agissait d’une simple formalité.

Les retrouvailles d’Aline et ses enfants à l’Aéroport de Genève

Puis le feu vert du SEM a été suivi de complications supplémentaires, liées à l’absence d’ambassade de Suisse dans le pays d’origine d’Aline. Il y a certes un consulat, mais ce dernier n’est pas habilité à émettre les visas. Le SEM a donc transmis sa directive d’octroi des visas pour les deux enfants à l’ambassade du pays voisin. Il était demandé aux enfants de s’y rendre, par leurs propres moyens (!), pour déposer leurs passeports à l’ambassade, puis de retourner les récupérer une fois que les visas y seraient apposés. Heureusement, grâce à l’intervention des mandataires d’Aline, l’ambassade de Suisse a finalement accepté que les passeports soient déposés auprès de leur office par une tierce personne et renvoyés ensuite par voie postale au Consulat du pays où se trouvaient les enfants.

Une fois les passeports tamponnés en main, craignant d’être à nouveau laissée sans nouvelles si le SEM se chargeait de l’organisation du voyage, Aline a acheté elle-même les billets d’avion grâce à une cotisation de ses amies. Les enfants, âgés aujourd’hui de 15 et 13 ans, ont finalement atterri à Genève au début du mois de décembre 2021, soit huit mois après qu’Aline ait reçu sa décision d’asile positive.

Qu’elle n’ait plus osé y croire, on peut donc aisément le comprendre. Les retrouvailles n’en furent que plus intenses: «Je n’oublierai jamais ce moment. Je n’ai jamais entendu parler de personnes qui seraient mortes de joie, mais si ce n’était pas du seul ressort de Dieu, je serais probablement morte à ce moment-là»

Au final, et c’est probablement de là qu’elle tire sa force, elle parvient à extraire du positif de ces quatre dernières années : « ça valait la peine d’attendre, parce que je crois qu’on en tire des leçons. Et ça m’a permis de rencontrer tous les gens qui m’ont aidée en chemin. Parfois la patience est douloureuse, mais en fin de compte elle est bénéfique.» Elle se dit reconnaissante aussi, parce que  consciente que d’autres se battent pendant 8, 10 ans, et parfois ne parviennent jamais au bout de leurs batailles juridiques.

 Et maintenant? «Les enfants vont apprendre le français, ils se réjouissent de pouvoir commencer l’école, leur inscription est en cours. On veut s’intégrer, devenir indépendants ». Elle ajoute en riant: « aller de l’avant ! »

Une solidarité indispensable face à l’adversité

Au-delà de la bataille juridique, le long combat d’Aline pour parvenir à enfin mettre ses enfants en sécurité en Suisse a aussi été celui de bénévoles, amies, qui l’ont entourée, encouragée, accompagnée. Il faut de la force pour supporter et surmonter les obstacles de la loi et les aléas de la vie. Lorsque l’espoir faiblit ou flanche, s’appuyer sur des épaules bienveillantes est aussi essentiel. Autour d’Aline, une vraie solidarité s’est formée et nous voulions témoigner de l’importance de cet engagement. Fait de petits riens, d’un café partagé, d’oreilles attentives, d’aide à la rédaction, de sollicitations de proches pour trouver qui de quoi meubler un appartement, qui de l’argent pour payer un billet d’avion, qui une ou un juriste pour comprendre du jargon administratif, chaque geste paraît anodin mais s’avère essentiel. Nous souhaitions donc raconter cette même histoire à travers les mots de celles qui l’ont aidée: Anne-Françoise, Sandrine et leurs amies. Mais, Anne-Françoise s’en est brusquement allée, rendant le témoignage et l’écriture trop douloureux. Alors, au lieu de son récit, j’ai souhaité saluer ici son engagement.

Bénévole infatigable, amie, mère de substitution

«Dis, pour moi, pour nous, tout ce qu’elle a fait, elle était comme ma maman», m’a dit Mengis, un jeune érythréen. À ces mots, tu aurais sans doute détourné le regard, Anne Françoise, par pudeur. La dernière fois que nous nous sommes croisées, au repas de 3ChêneAccueil, nous avons évoqué furtivement ce que toi et tes amies avez entrepris pour Aline et toute sa famille. Nous avions convenu d’en parler tout vite, malgré tes (vos) réticences à te (vous) mettre en avant. Tu n’as pas répondu à mes messages. Tu étais à l’hôpital m’a dit ton mari, ton amour, Willy. Encore plein d’espoir en vue de ta guérison. Deux semaines plus tard tu as quitté ce monde. Tu me manques, tu nous manques. Exilé·es, bénévoles, collègues et camarades, toi que nous avons connue trop peu de temps ou depuis longtemps, nous continuons le chemin que tu as contribué à tracer. Ensemble, tout simplement, comme quand tu étais encore parmi nous. Au nom de toutes celles et tous ceux que tu as accompagné·es et dans le cœur desquel·les tu demeures.

Marie Bonard