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Notre regard

Nos jeunes « débouté·es »

Sophie Malka

«Ces jeunes […] font preuve d’un courage et d’une dignité immenses et tentent de garder  la tête hors de l’eau, de ne pas sombrer dans la folie. Mais ils ont besoin de nous. […] Après tant d’années passées en Suisse, leur intégration de fait doit prévaloir sur les critères d’obtention de l’asile au moment de leur arrivée. Il est temps que nos élus les régularisent, pour redonner à ces jeunes leur dignité et leur avenir. Car ce sont nos jeunes.» Le Temps, Opinion, «Nos jeunes déboutés», 18.03.21

Le cri du cœur d’Emmanuelle Werner, fondatrice et directrice de l’association Yojoa est paru dans la foulée d’une soirée très riche en émotions et en témoignages organisée le 10 mars 2022 par le Festival du film et forum international des droits humains (FIFDH)[1]Retrouvez le film et le débat en replay. Le débat au FIFDH était organisé en partenariat avec la Coordination asile.ge et le Bureau pour l’intégration des étrangers. Il réunissait Bernard … Lire la suite. Modéré par Vivre Ensemble, le débat portait sur l’avenir et l’insertion d’une cinquantaine de jeunes arrivé·es à Genève durant leur adolescence ou juste après leur majorité, souvent seul·es. Ils ont été débouté·es de leur demande d’asile. Malgré le fait d’avoir fui un régime dictatorial, l’Érythrée, dont les actes sont reconnus par l’ONU comme des crimes contre l’humanité. Ou fui des pays en proie à des guerres ou violences généralisées, des conflits fratricides, où certaines minorités sont discriminées (Afghanistan, Irak, Somalie, Iran, Éthiopie, Chine…). Pays où il leur est impossible de retourner aujourd’hui.

Crédits photo: Miguel Bueno, FIFDH 2022

Leur statut les place dans une impasse. Interdit·es de travail ou d’apprentissage, ils et elles (sur)vivent au régime infâmant de l’aide d’urgence, conçu pour dégrader les conditions d’existence de façon à les inciter à quitter « rapidement » le territoire. Selon la loi, ces jeunes pourraient prétendre à une régularisation au bout de 5 ans, s’ils et elles sont « bien » intégré·es [2]Dans la pratique, la durée est bien plus longue, notamment pour les personnes seules.. Tel était le cas de Mebrahtu, héros solaire du reportage réalisé par Béatrice Guelpa (RTS). Mais sa demande de régularisation n’a même pas été envoyée à Berne par l’Office cantonal de la population et des migrations (OCPM). Comme la majorité des autres dossiers.

Crédits photo: Miguel Bueno, FIFDH 2022

Mebrahtu a choisi de reprendre sa seule marge de liberté: tenter de trouver une protection ailleurs. La traversée de la Manche a failli lui coûter la vie et son avenir à Londres reste incertain. Profondément marqué,il appelle à ce que les choses changent en Suisse. D’autres tentent depuis 2 ans de trouver une solution viable. Durant la soirée, certain·es ont eu le courage de raconter leur désarroi, la honte de vivre avec ce statut, de questionner le représentant de l’OCPM présent, les autorités, mais aussi de nous questionner. Comme l’a relevé lors du débat la Dre Sophie Durieux-Paillard, responsable du Programme santé migrants aux HUG, l’impasse dans laquelle ces jeunes se trouvent les détruit, alors qu’ils et elles sont dans les années où on se construit. Elle pousse aux comportements à risques, voire au suicide.

Urgence et responsabilité d’agir, donc. C’est pour rappeler que ces jeunes ont droit à un avenir que la Coordination asile.ge mène une action de parrainage-marrainage (coordination-asile-ge.ch) et relancé sa lettre ouverte au Conseil d’État genevois. Mais c’est au niveau de la Confédération qu’il faudrait porter cette revendication de régularisation. De renoncer à ce régime d’aide d’urgence, absurde, inefficace et coûteux. De permettre à toutes et tous de travailler et de se former. Cette revendication, d’autres la posent dans tout le pays.

Comme le dit Emmanuelle Werner, « la Suisse nous prouve actuellement qu’elle est capable de mettre l’humain au centre de ses préoccupations, qu’elle est capable d’agir de manière rapide et agile pour l’accueil des réfugiés. Qu’elle n’oublie pas cette jeunesse-là. »

Notes
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Retrouvez le film et le débat en replay. Le débat au FIFDH était organisé en partenariat avec la Coordination asile.ge et le Bureau pour l’intégration des étrangers. Il réunissait Bernard Gut, directeur de l’Office cantonal de la population et des migrations, Abel Abraham, un jeune concerné, Sophie Durieux, responsable du Programme santé migrants des HUG, Lucine Miserez, assistante sociale du secteur réfugiés du CSP Genève, Laurent Paonessa, patron de Mebrahtu, et Joël Petoud, directeur d’Acces II (DIP).

2 Dans la pratique, la durée est bien plus longue, notamment pour les personnes seules.