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Le Temps | Nos jeunes « déboutés »

Emmanuelle Werner, fondatrice et directrice de Yojoa revient sur le débat sur l’insertion des jeunes débouté.es à Genève tenu dans le cadre du Festival International de Films pour les Droits Humains (FIFDH). « Il est temps que nos élus les régularisent, pour redonner à ces jeunes leur dignité et leur avenir » souligne-t-elle dans son opinion parue dans Le Temps.

L’opinion d’Emmanuelle Werner a été publiée dans le quotidien Le Temps le 18 mars 2022.

Nos jeunes « déboutés »

Dans la soirée du jeudi 10 mars, le Festival International de Films pour les Droits Humains (FIFDH) a donné une voix aux jeunes déboutés de l’asile à Genève. Ils étaient nombreux dans la salle, leurs témoignages résonnent encore à nos oreilles.  

À Genève, ils sont quelque 50 jeunes à qui nos autorités ont collé l’étiquette « débouté ». Un qualificatif qui porte en lui toute la puissance du rejet. Cinquante vies humaines. Un nombre qui semble si dérisoire, si futile dans le contexte actuel. 

Ils sont arrivés dans notre pays il y a des années, ils étaient alors pour la plupart des « mineurs non accompagnés » venus chercher la protection de la Suisse au regard des risques encourus dans leurs pays. Ici, ils ont répondu à toutes les attentes de la société : ils ont appris la langue, ils se sont montrés exemplaires dans leurs études, ils se sont intégrés de manière consciencieuse, silencieuse aussi, pour ne pas se faire trop remarquer, surtout ne pas faire de vague. Ils ont vécu tout ou une partie de leur adolescence dans notre pays, développant sur nos terres leur identité de jeunes adultes à une période charnière de leur développement, immergés dans notre culture et imprégnés de nos codes.

Après des années d’efforts et de résilience, des années vécues dans l’espoir d’obtenir un jour un permis, fameux sésame pour l’avenir, la réponse définitive à leur demande d’asile tombe : « Vous n’avez pas votre place ici ».

Bienvenus dans le monde des « déboutés ». 

En l’espace d’un instant, ils voient leur vie se mettre entre parenthèse et ils basculent à nouveau dans la survie : plus le droit de faire un apprentissage, plus le droit d’accéder à l’emploi, plus le droit de contribuer à la société, plus le droit à la dignité. On les transfère au service de « l’aide d’urgence » qui leur donne accès à un chèque de 10CHF par jour pour vivre. Ce chèque, il faut aller l’échanger à la poste contre un billet de banque, et affronter l’humiliation au quotidien. En guise de document attestant de leur identité, ils reçoivent de l’Office cantonal de la population et des migrations une attestation, communément appelé « papier blanc », qu’ils devront faire tamponner tous les mois. Une manière pour nos autorités de les garder à l’œil en vue d’un possible retour forcé dans leur pays d’origine. Leur renvoi est pourtant souvent inexécutable.

Alors que faire dans cette impasse ? Chercher l’asile ailleurs ? Certains l’ont fait, mettant par exemple le cap sur l’Angleterre et risquant leur vie dans la traversée de la Manche. Un choix cornélien pour des jeunes qui ont déjà tant souffert sur les routes de l’exil. Quitter la Suisse, cela veut aussi dire tout recommencer à zéro, une nouvelle fois, et renoncer aux liens si forts tissés avec notre communauté. Partir, c’est renoncer, une fois pour toute, à l’espoir pourtant si légitime de devenir également un.e. citoyen.n.e. à part entière de notre pays.

Crédits: FIFDH2022/Miguel Bueno

Ces jeunes je les connais, j’en ai accompagné certains. Ils font preuve d’un courage et d’une dignité immenses et tentent de garder la tête hors de l’eau, de ne pas sombrer dans la folie. Mais ils ont besoin de nous.

Il est de notre responsabilité, en tant que citoyen.n.e.s et électeur.ices, de faire entendre notre voix. Après tant d’années passées en Suisse, leur intégration de fait doit prévaloir sur les critères d’obtention de l’asile au moment de leur arrivée. Il est temps que nos élus les régularisent, pour redonner à ces jeunes leur dignité et leur avenir. Car ce sont nos jeunes.

La Suisse nous prouve actuellement qu’elle est capable de mettre l’humain au centre de ses préoccupations, qu’elle est capable d’agir de manière rapide et agile pour l’accueil des réfugiés. Qu’elle n’oublie pas cette jeunesse-là.

Les lecteurs peuvent signer une lettre ouverte envoyée au Conseil d’État qu’ils trouveront sur le site de Coordination asile-ge.

Emmanuelle Werner Gillioz
Fondatrice et directrice de Yojoa