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HRW | Croatie : Refoulements réguliers et violents à la frontière

Depuis plusieurs mois, de nombreuses personnes réfugiées ayant transité par la Croatie font le récit de violences policières, vols d’argent, destructions de téléphones portabes et de refoulements à chauds vers la Bosnie Herzégovine. Or, ce dernier connaît un système d’asile inefficient: cinq personnes seulement y ont obtenu le statut de réfugié en 2021. Les refoulements concernent également de mineur·es isolé·es ou de familles avec enfants. Human Rights Watch a recueilli le témoignage de 100 personnes faisant toutes état de violences subies à la frontière. Cependant les autorités croates déclinent toute responsabilité et ont refusé le dialogue avec l’organisation. La Bosnie-Herzégovine a un système d’asile inefficient qui ne permet pas d’obtenir une protection. Le rapport de Human Rignts Watch formule des recommandations importantes, elle demande notamment aux pays européens de suspendre les renvois vers la Croatie dans le cadre de Dublin III et d’ouvrir des voies d’accès légales.

Le rapport « Like We Were Just Animals » : Pushbacks of Peolple Seeking Protection from Croatie to Bosnia and Herzegovina » (03.05.2023) est disponible sur le site de Human Rights Watch en anglais. Nous reproduisons ci-dessous son résumé en français, également disponible sur le site de l’organisation.

Croatie : Refoulements réguliers et violents à la frontière

L’UE ferme les yeux sur la brutalité routinière envers les migrants et les demandeurs d’asile

  • La police croate refoule régulièrement, et souvent violemment, des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants vers la Bosnie-Herzégovine, sans évaluer leurs demandes d’asile ni leurs besoins de protection.
  • Les refoulements sont depuis longtemps une procédure opérationnelle standard pour la police des frontières croate, et le gouvernement s’est joué des institutions de l’UE avec des louvoiements et de vaines promesses.
  • La Croatie devrait immédiatement mettre fin aux expulsions collectives. La Commission européenne devrait exiger des informations concrètes et vérifiables sur les mesures prises pour enquêter sur les violations.
  • (Bruxelles) – La police croate refoule régulièrement et souvent violemment des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants vers la Bosnie-Herzégovine, sans évaluer leurs demandes d’asile ni leurs besoins de protection, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

Rapport Human Rights Watch

Le rapport de 94 pages, intitulé « “Like We Were Just Animals”: Pushbacks of People Seeking Protection from Croatia to Bosnia and Herzegovina » (« “Comme si nous étions des animaux” : Refoulement par la Croatie vers la Bosnie-Herzégovine de personnes en quête de protection »), constate que les autorités croates se livrent à des refoulements, y compris d’enfants non accompagnés et de familles avec de jeunes enfants. Cette pratique se poursuit malgré les démentis officiels, les prétendus efforts de surveillance et les engagements répétés – et non tenus – de respecter le droit de demander l’asile et d’autres normes relatives aux droits humains. La police des frontières vole ou détruit fréquemment des téléphones, de l’argent, des documents d’identité et d’autres biens personnels, et soumet souvent des enfants et des adultes à des traitements humiliants et dégradants, parfois de manière explicitement raciste.

« Les refoulements sont depuis longtemps une procédure opérationnelle standard pour la police des frontières croate, et le gouvernement croate s’est joué des institutions de l’Union européenne avec des louvoiements et de vaines promesses », a déclaré Michael Garcia Bochenek, conseiller juridique senior auprès de la division Droits des enfants à Human Rights Watch et auteur du rapport. « Ces abus odieux – et la duplicité officielle qui les facilite – doivent cesser. »

Human Rights Watch a mené des entretiens avec plus de 100 personnes, dont plus de 20 enfants non accompagnés et une vingtaine de parents voyageant avec de jeunes enfants, qui ont fait état de refoulements souvent brutaux, dont certains aussi récemment qu’en avril 2023. Quelques personnes ont déclaré que la police croate les avait refoulées des dizaines de fois, ignorant systématiquement leurs demandes d’asile.

Les autorités croates ont presque toujours décliné toute responsabilité pour les refoulements, et le ministère croate de l’Intérieur n’a pas répondu aux demandes de Human Rights Watch en vue d’une rencontre ou de commentaires sur ses conclusions.

La Croatie, un État membre de l’Union européenne situé à la frontière extérieure de l’Union, a rejoint l’espace Schengen, pays qui autorisent généralement la libre circulation sans contrôle aux frontières, en janvier 2023. Dans les mois qui ont précédé la décision, la police des frontières a semblé refouler moins de personnes et mettre un frein à certaines de ses pratiques les plus violentes. Néanmoins, dès le mois de mars, elle avait repris les refoulements à grande échelle, a constaté Human Rights Watch.

Entre janvier 2020 et décembre 2022, le Conseil danois pour les réfugiés a enregistré près de 30 000 refoulements. Environ 13 % des refoulements enregistrés en 2022 concernaient des enfants, seuls ou en famille. L’Afghanistan est le pays d’origine le plus courant.

Lors d’un refoulement typique, la police croate ne transfère pas les personnes aux autorités de Bosnie-Herzégovine aux postes-frontières réguliers. Au lieu de cela, la police croate transporte des personnes ailleurs le long de la frontière et leur ordonne de traverser. Des personnes ont expliqué avoir dû traverser des rivières ou des ruisseaux, grimper sur des rochers ou se frayer un chemin à travers une forêt dense, souvent la nuit, et sans aucune idée de la façon d’atteindre la ville la plus proche.

Le système d’asile de la Bosnie-Herzégovine est inefficace, ce qui signifie qu’il n’est pas une option pour la plupart des personnes qui demandent une protection internationale. Seulement cinq personnes ont obtenu la reconnaissance du statut de réfugié en 2021, contre une en 2020 et trois en 2019, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

Au cours du second semestre de 2022, alors que l’UE en était aux dernières étapes de l’examen de la demande d’adhésion de la Croatie à l’espace Schengen, la police croate a de plus en plus utilisé une tactique alternative consistant à émettre des ordres d’expulsion sommaires, qui ne tenaient pas non plus compte des besoins de protection ni n’offraient des protections de procédure régulière. À fin mars 2023, la police croate semblait avoir abandonné cette pratique.

Photo de Radek Homola sur Unsplash

En mars et avril, la police croate a également transféré plusieurs centaines de personnes en Bosnie-Herzégovine dans le cadre d’un « accord de réadmission » et a suggéré que ces réadmissions se poursuivraient. La réadmission est une procédure formelle effectuée aux postes frontières réguliers, mais les réadmissions en Bosnie-Herzégovine depuis la Croatie ne tiennent pas compte des besoins de protection et n’offrent pas les protections essentielles d’une procédure régulière, notamment le droit de faire appel. Ces réadmissions sont en fait des expulsions sommaires massives, selon Human Rights Watch.

L’Autriche, l’Italie et la Slovénie ont également utilisé leurs accords de réadmission, entre ces pays eux-mêmes et avec la Croatie, à peu près de la même manière, ce qui signifie que même si des personnes atteignent la Slovénie ou un autre pays de l’UE, elles peuvent se retrouver à leur tour renvoyées dans chaque pays qu’elles ont traversé lors de leur voyage à travers l’Europe. Les réadmissions depuis l’Autriche, l’Italie et la Slovénie sont actuellement suspendues, mais le gouvernement italien a suggéré qu’il reprendrait les réadmissions en Slovénie dès qu’il serait en mesure de le faire.

L’Union européenne a versé des fonds substantiels à la gestion des frontières croates sans obtenir de garanties significatives que les pratiques de la Croatie respectent les normes internationales relatives aux droits humains et qu’elles sont conformes au droit de l’UE. Un mécanisme de surveillance des frontières financé par l’UE mis en place en 2021 a manqué d’indépendance.

Les pratiques de refoulement de la Croatie violent les interdictions internationales de la torture et d’autres mauvais traitements, de l’expulsion collective et du retour au risque de préjudice, connu sous le nom de refoulement. Les refoulements d’enfants violent les normes relatives aux droits de l’enfant.

La Croatie devrait immédiatement mettre fin aux refoulements et autres expulsions collectives vers la Bosnie-Herzégovine, a insisté Human Rights Watch. D’autres pays de l’UE, dont l’Italie et la Slovénie, ne devraient pas chercher à renvoyer des personnes vers la Croatie tant que les autorités croates n’auront pas mis fin aux expulsions collectives et garanti le respect du droit de demander l’asile.

La Commission européenne devrait demander aux autorités croates de mettre fin aux refoulements et autres violations des droits humains à la frontière, et de fournir des informations concrètes et vérifiables sur les mesures prises pour enquêter sur les violations des droits humains à l’encontre des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés.

« Les refoulements ne devraient pas se poursuivre comme si de rien n’était », a conclu Michael Garcia Bochenek. « Les institutions de l’UE doivent agir de manière décisive pour demander des comptes à la Croatie pour ces violations régulières du droit de l’UE et des normes internationales. »

Témoignages tirés du rapport :

« La police est venue. Ils nous ont fait enlever nos vêtements. Ils ont pris nos téléphones. Ils nous ont fouillés. Nous avons dit que nous voulions demander l’asile en Croatie. Nous avons expliqué que nous avions besoin de soins médicaux. Ils ont dit : « Partez ». Ils nous ont expulsés sans tenir compte de notre situation. C’était la cinquième fois que cela nous arrivait. »
Stéphanie M., une femme de 35 ans originaire du Cameroun, lors d’un entretien mené en mai 2022.

Firooz D., un garçon de 15 ans originaire d’Afghanistan, a déclaré à Human Rights Watch que la police croate lui a donné des coups de pied, ainsi qu’à un autre garçon de 15 ans, a pris 500 € et tout le contenu de son sac à dos, puis l’a renvoyé en Bosnie-Herzégovine en avril 2023. « Ils ont dit que s’ils nous attrapaient à nouveau, ils nous battraient pour de vrai. »

Rozad N., 17, a déclaré que la première fois que lui et sa famille sont entrés en Croatie : « Un policier m’a pris mon téléphone et l’a mis dans sa poche… J’ai été surpris. J’ai dit ‘Que faites-vous ? C’est mon téléphone.’ Il a répondu : ‘Oh, c’était le tien. Maintenant, il m’appartient.’ Je ne comprenais pas ce qui se passait. J’ai commencé à crier et il m’a battu. » Lors de tentatives ultérieures d’entrer en Croatie, il a régulièrement vu la police prendre des téléphones : « Ils vous font ouvrir le téléphone et ils vont sur les cartes pour voir ce que vous avez marqué. Ils vérifient les photos. Ils regardent pour voir s’il y a des discussions de groupe. Ils veulent voir si vous avez eu des contacts avec des passeurs. Ensuite, s’ils aiment le téléphone, ils vous font entrer le code pour pouvoir restaurer tous les paramètres d’usine, et ils le gardent. »
Rozad N., un jeune homme de 17 ans originaire d’Irak, lors d’un entretien mené en novembre 2021.

« Pourquoi nous traitent-ils ainsi ? Ce n’est pas correct. Ne nous renvoyez pas. Ne nous bloquez pas comme ça. Maintenant, je n’ai plus d’argent. Je n’ai pas de nourriture. Comment survivre ? Hier soir, un homme a voulu se suicider. »
Emmanuel J., un homme de 25 ans originaire du Ghana, lors d’un entretien mené par Human Rights Watch en mai 2022, le lendemain de son refoulement par la Croatie.