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Notre regard

« Si on ne le montre pas, personne ne sait ce qui se passe »

Julien Vaudroz

Parti d’Afghanistan à 15 ans et arrivé en Belgique à presque 17 ans, SK Nasiri a fui son pays pour se mettre en sécurité, après l’assassinat de son père par les Talibans. C’est au milieu de ce voyage, à Thessalonique en Grèce, que l’enfant de l’époque rencontre les deux réalisatrices de Shadow Game. Celles-ci transposeront en film les moments enregistrés avec son téléphone pendant son périple. Son épopée s’ajoute à la mosaïque d’histoires d’autres mineurs non-accompagnés présentées dans « Shadow Game » et vient nous montrer les horreurs vécues durant leur périple. Nous avons rencontré SK dans le cadre du FIFDH, où il venait présenter la suite de « Shadow Game » intitulée « The Mind Game », dont il est désormais coréalisateur. SK en a profité pour accomplir l’un des exercices parmi lesquels il excelle désormais et qui lui tient particulièrement à cœur : dialoguer avec des jeunes de son âge – des étudiant·es du secondaire 2 – muni de sa double casquette de coréalisateur et de protagoniste, à l’issue d’une représentation scolaire.

La réalisatrice de Shdaow Game Els Van Driel et le protagoniste SK Nasiri au FIFDH, photo de Kenza Wadimoff

« Shadow game » est un film documentaire saisissant par sa force et son authenticité, est-ce qu’il t’arrive de le revoir?

Je l’ai déjà beaucoup vu et je pense que je le connais par cœur. Mais je ne le regarde pas sinon j’ai des problèmes de sommeil. Et aujourd’hui, il y a ce deuxième documentaire sur lequel nous avons travaillé avec Els et Eefje. Il traite aussi de sujets lourds. Dans cette suite au premier film, il s’agit davantage de l’arrivée en Europe et des drames et traumatismes que tu peux avoir en arrivant. C’est ce qu’il s’est passé avec moi en l’occurrence: les autorités ne me croyaient pas sur mon âge et j’ai dû rester quatre mois dans un centre du service de migration belge. Normalement, on y reste un mois, mais je devais attendre de recevoir mes documents originaux d’Afghanistan pour leur fournir la preuve de qui j’étais. Être mis ainsi en doute après tout ce que j’avais vécu, c’était terrible. À ce moment-là j’ai eu l’impression que mon âme quittait mon corps. Beaucoup d’autres n’ont pas pu prouver leur minorité parce qu’ils n’avaient pas leurs papiers. Cela a été très dur pour eux, avec l’impossibilité d’aller à l’école, notamment. Ils ont connu la dépression.

Dans le cadre du premier film, il y a eu beaucoup de projections avec des jeunes dans des écoles, cela te tient à cœur ?

Comme j’ai pu le dire aux élèves après la projection du film, je pense qu’ils et elles sont l’avenir. Ce sera à elles et eux de prendre des décisions importantes plus tard. Il est nécessaire que les enfants qui pensent que les étrangers viennent pour le plaisir ou que ce ne sont que des criminels puissent voir une autre réalité. Souvent, ils disent être très surpris par ce qu’ils ont vu. Du coup on organise des projections avec des écoles pendant les festivals, comme ici au FIFDH ou au festival Movies that Matter. C’est important de montrer ces images et d’en parler, parce que si on ne voit pas ce que subissent les gens sur le trajet de l’exil, personne ne se rend compte de ce qui se passe. C’est pour cela que nous essayons d’organiser des visionnages avec les écoles.

Depuis la sortie du film, je suis un peu devenu le visage des mineurs réfugiés, les personnes me connaissent et veulent m’écouter, et ça me permet de faire passer des messages. C’est aussi ce que j’engage dans mes vidéos Tiktok, je veux juste de l’humanité, du repos pour tous·tes les réfugié·es et pour le monde entier et il faut s’aimer.

Tu as aussi pu être le visage de ces mineurs directement au Parlement européen, où tu as pris la parole le 14 juin 2022 pour dénoncer les violences faites aux jeunes requérants d’asile. Quelles sont tes impressions ?

Avec l’impact du film, on a effectivement décidé de lancer une pétition pour dénoncer la manière dont les droits des enfants sont quotidiennement violés et pour appeler à un soutien des enfants en fuite, plutôt qu’une répression violente aux frontières. Du coup je suis allé faire un discours, ils m’ont écouté et j’ai pu échanger et avoir le soutien de certain·es politicien·nes. Je crois que je ne suis pas très intéressé à faire de la politique, en revanche je reste convaincu qu’il faudrait aussi montrer nos films dans les différents lieux où les lois sont décidées. Et y procéder à des discussions, comme nous le faisons avec les écoles !

Quels sont tes projets, tes ambitions ?

À la base, je voulais être biologiste, mais n’étant allé que deux ans à l’école en Afghanistan, j’ai dû renoncer à ce cursus en Belgique. Du coup je vais plutôt me tourner vers le journalisme. Avec mon parcours et ma contribution à ces deux films, je pense que je peux apporter une perspective intéressante. Je le fais déjà un peu avec mes vidéos, et c’est un journalisme ciblant plutôt ma génération. Donc voilà, je me tourne plus vers le journalisme, mais je ne m’éloigne pas entièrement de la réalisation de films. J’ai commencé une école de journalisme, mais je vais devoir être patient et travailler dur pour acquérir un très bon niveau de flamand avant d’approfondir mes études dans ce domaine.

Shadow game | le jeu de l’ombre

Shadow Game est l’imbrication dans un même long métrage des différents défis qui accompagnent le périple de mineurs non-accompagnés jusqu’en Europe.Ils ont 14, 15, 16 ou 17 ans et viennent d’Irak, d’Afghanistan, de Syrie ou du Soudan. Leurs récits s’entremêlent et se construisent dans ce film qui leur donne voix en recourant aux vidéos enregistrées avec leurs téléphones. Cette méthode collaborative établie entre les deux réalisatrices néerlandaises, Eefje Blankevoort et Els Van Driel, et les jeunes protagonistes permet une immersion dans leur récit. Ils racontent à hauteur d’adolescents l’horreur banalisée qu’est la politique d’asile européenne. Cette approche expérimentale donne finalement la parole à celles et ceux qui, souvent, sont démis·es de tout contrôle sur leur image. Le public prend acte pendant les moments de doute, d’abandon ou – plus joyeux – de retrouvailles, des menaces mortelles et quotidiennes qui pèsent sur ces adolescents. Les multiples tentatives pour franchir une frontière, les refoulements brutaux de la police dans les Balkans, les conditions de vie quotidienne critiques, l’atmosphère asphyxiante des camps, l’absence de soutien particulier pour les populations vulnérables. Les thématiques traitées dans ce film documentaire montrent l’ordinaire des nombreux mineurs non-accompagnés qui tentent d’atteindre l’Europe et la perte de leur enfance durant le périple. C’est un départ sans retour possible et où la seule option est d’avancer. Ces jeunes livrés à eux-mêmes trouvent alors le courage de continuer en qualifiant ce périple imposé de « jeu », où chaque mur, chaque défi, représenterait un palier supplémentaire pour atteindre le niveau final: l’Europe, la sécurité, une tante ou un frère à rejoindre.


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