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Documentation

Solidarité Tattes | Menacée en tant que journaliste, kurde et femme (5/5)

S’inscrivant dans une série de témoignages collectés par l’association genevoise Solidarité Tattes, le récit de Perihan Kaya, journaliste kurde raconte les violences subies par la police en Croatie, mais aussi la peur que son transfert là-bas signifie ensuite un renvoi vers la Turquie où sa vie est menacée. L’association de conclure: « Perhian doit rester en Suisse, le Conseil D’État genevois doit stopper les renvois Dublin vers la Croatie!Cet article est paru dans le quotidien Le Courrier du 05 juillet 2023

Photo de Levi Meir Clancy sur Unsplash

L’association Solidarité Tattes a recueilli à Genève une série de témoignages, publiés dans le quotidien Le Courrier durant le mois de juin. Les récits sont ceux de personnes menacées de renvoi Dublin vers la Croatie, un pays dans lequel elles ont subi des pushback et de graves violences à la frontière. Les associations de défense des droits humains actives dans l’asile sont unanimes à appeler à renoncer à de tels renvois, d’autant plus pour les personnes vulnérables ou ayant été traumatisées du fait des violences subies. Les risques de refoulement en chaîne en raison du faible taux de protection octroyé en Croatie pour des personnes originaires de pays notoirement problématiques au niveau des droits humains sont soulignés.

Avec l’aimable autorisation de Solidarité Tattes et du Courrier, nous republions ces témoignages durant l’été. En bas de l’article, retrouvez de la documentation récente sur la thématique Dublin Croatie.

Perihan Kaya nous explique: «J’ai 36 ans. Je suis née à Kars, une ville kurde à l’est de la Turquie. J’ai fui le pays après avoir été arrêtée en raison de mon activité de journaliste. En 2022, j’arrive en Suisse et j’y dépose une demande d’asile, que la Suisse refuse sans en examiner les motifs. Parce que le règlement Dublin le lui permet, elle veut me renvoyer en Croatie.

Grandir entre injustices et violences

Tout au long de ma vie, mon appartenance à la nation kurde a été officiellement niée. La carte d’identité qui m’a été délivrée par la Turquie indique que je suis «turque» et je n’ai pas pu recevoir d’enseignement ni de formation dans ma langue maternelle, le kurde.

En 1993, un massacre sanglant a eu lieu à Kars dans le quartier de Digor, là où je suis née et où j’ai grandi. De nombreuses personnes y ont perdu la vie. J’avais seulement 8 ans quand j’ai assisté à ce massacre. Les injustices et les violences dont j’ai été témoin dans mon enfance m’ont incitée à écrire, à documenter et à dire la vérité. J’ai décidé de devenir journaliste.

Arrêtée et menacée en Turquie

J’exerce ce métier depuis quinze ans: j’ai travaillé en tant que reporter, photographe, rédactrice, présentatrice dans des médias et agences en Turquie. Pendant cette période, j’ai été détenue à de nombreuses reprises et il y a actuellement trois procès en cours contre moi. Les chefs d’accusation sont: ‘faire de la propagande pour une organisation illégale, être membre d’une organisation illégale, insulter la présidence’. J’ai été menacée de mort à de nombreuses reprises sur les médias sociaux, j’ai été insultée et j’ai été arrêtée par les forces de sécurité alors que je me rendais à la rédaction d’un journal.

Malgré tout, je n’ai pas voulu quitter mon pays et j’ai essayé d’y vivre. Impossible: je ne suis plus en sécurité en Turquie, j’ai dû me résoudre à fuir. Je suis partie en avion jusqu’en Bosnie, puis j’ai marché jusqu’en Croatie.

L’«accueil» croate. Nous avons formé un groupe avec femmes, enfants et hommes pour traverser la frontière croate. La police nous a vus et nous a encerclés en criant. Les policiers ont confisqué nos téléphones. Puis ils ont confisqué l’argent, ils ont volé les hommes. Après, ils nous ont confisqué nos sacs, à nous les femmes. Ensuite, ils nous ont emmené·es à un poste de police. Ils ont emmené les femmes de force pour nous fouiller. Des policières m’ont obligée à me déshabiller et ont même regardé mon vagin puis mon anus en m’obligeant à m’incliner.

Nous ne pouvions exercer aucun de nos droits pendant cette détention. Ni notre droit de communiquer avec notre famille, ni notre droit à un avocat. Pourtant, les policiers nous ont forcé·es à signer un document déclarant que nous utilisions tous ces droits. Pendant les deux jours où nous sommes resté·es emprisonné·es, ils ne nous ont pas donné à manger. Ils ont pris mes empreintes digitales en me tenant le bras de force, puis ils m’ont donné un papier d’expulsion stipulant que je devais quitter leur pays dans les 7 jours.

C’est très effrayant de vivre cela. Je ne peux pas retourner là-bas. Et surtout, l’état turc a des liens étroits avec la Croatie. Si la Suisse me renvoie en Croatie, ce pays peut me renvoyer en Turquie, où ma vie est en danger.

En Suisse, le stress du renvoi

Je suis en Suisse depuis plus d’une année. Depuis mon arrivée, je souffre de problèmes psychologiques dus aux traumatismes vécus en Turquie et en Croatie et je suis sous traitement. Le stress que je subis, l’état d’esprit dans lequel je me trouve et les cauchemars que je fais sont insupportables. Il m’est impossible de les exprimer avec des mots. La principale raison pour laquelle je suis venue en Suisse, c’est l’espoir d’y vivre en toute sécurité en tant que femme et journaliste.»

Perihan doit rester en Suisse, le Conseil d’État genevois doit stopper les renvois Dublin vers la Croatie!